Les belles histoires de Mamy Acherontia… Chapitre 2, L'écureuil, le renard et la sitelle…
Voyez-vous, quand je n'étais encore qu'une petite guéchote(1), je tenais la biologie en très haute estime. Ayant depuis longtemps choisi de dédaigner les métiers de princesse, infirmière pour animaux de compagnie et autres niaiseries qui puent la fille à plein nez, je m'étais tournée vers une vocation tout autre... Très attirée par le fonctionnement des organismes de tout poil et par les noms latins barbares, mon petit rêve à moi, c'était de devenir la conservatrice en chef du Muséum des sciences naturelles de Bruxelles. Ça, ou médecin légiste. Rien que ça... J'avais déjà prévu tout mon cursus scolaire, jusqu'au post-doctorat, vous imaginez? Malheureusement pour moi, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu, mais cela, c'est une autre histoire... Je n'ai évidemment pas attendu les études supérieures pour commencer à pratiquer mon futur métier... J'étais trop curieuse, trop impatiente, et ma soif d'apprendre ne connaissait pas de limites. Bien vite, mes livres de bio ne m'ont plus suffi. Il me fallait aller sur le terrain, m'écorcher aux dures réalités du métier... Je parcourais donc la campagne armée de ma boîte à insecte, ma pince à épiler, ma loupe et tout un attirail des plus hétéroclites. Au détour des chemins, je ramassais ce que je trouvais... insectes, pelotes de déjection de quelque rapace nocturne, restes de souris mangées par le chat... voire pire. La route fait beaucoup de petites victimes tout à fait alléchantes pour un bambin en mal de sciences naturelles. Oui, c'est affreux, je sais... Mais je vous rassure, le chien du voisin se porte bien! Sensible à la cause animale depuis mon plus jeune âge, je prenais souvent part aux activités du WWF, faisant des récoltes de piécettes pour sauver les tigres ou parcourant les rues en compagnie de ma redoutable "pique à choper les ordures". J'avais établi dans ma chambre à coucher un petit dispensaire pour les oiseaux tombés au combat contre mes chats, et pour toutes les petites créatures de la forêt qui nécessitaient des soins. J'ai même sauvé une pipistrelle qui s'était trouvé coincée dans l'embrasure d'une porte. Je l'ai nourrie à la main. Les araignées des environs s'en souviennent encore... J'ai toujours eu un profond respect pour la vie, et il ne me serait jamais venu à l'esprit de l'ôter, qu'importe la taille de l'animal (les insectes et les vers servant à nourrir mes pensionnaires exceptés). Mon intérêt pour ces petites dépouilles était donc strictement scientifique. Pas d'orgie dans le sang ni d'infâmes rituels nécromants au menu... Il n'était pas rare de me voir sur la table en bois en face de chez moi (gare à celui qui aurait eu l'envie d'y pique-niquer...), sapée comme un rat de laboratoire qui aurait rétréci dans son tablier, un scalpel à la main et un air des plus sérieux sur le visage. Oui, je jouais avec le scalpel de mon frère... Que voulez-vous, j'étais passée maître dans l'art de la dissimulation parentale. Un de mes objectifs était d'apprendre à récupérer les squelettes des animaux, d'en nettoyer les os pour ensuite les remonter comme on le ferait d'un puzzle 3D. J'avais demandé à mes parents de bien vouloir m'acheter un certain acide d'utilisation courante dans les musées scientifiques mais, assez curieusement, ils ont refusé catégoriquement. J'allais donc devoir trouver d'autres moyens. Le compost et les fourmis offrant un piètre résultat, avec un temps de préparation beaucoup trop long, j'ai essayé l'eau de Javel sur une sitelle, mais cela faisait pourrir les os au bout d'un moment. Soit... je vous passerai peut-être les détails techniques... Tout ceci pour en venir au fait. Mon plus haut fait d'arme de petite fille de neuf ans, si je puis dire. Ne pouvant me permettre d'entreposer l'objet de mes expériences scientifiques dans mes pénates sous peine de relents désagréables et persistants, j'ai trouvé une cachette que je pensais adéquate : l'arrière du grand barbecue en pierres qui trônait au fond de notre cour. L'idée était bonne, mais c'était sans compter la petite fête que mes parents avaient organisé, et qui nécessitait l'emploi de ce dit barbecue... Et moi, ayant quelque peu oublié la présence de mes petits compagnons immobiles derrière les vieilles pierres, je ne me suis souciée de rien. Les convives ont vite perçu une odeur désagréable de viande avariée dans la cour et, un peu gênés, mes parents ont cherché la provenance de ces émanations... Jusqu'à tomber sur mon petit cadeau, bien emballé derrière le grill, mais pas assez bien emballé. C'est qu'un renard et un écureuil en stade de décomposition avancée, ça ne passe pas inaperçu... Je ne sais plus comment je me suis tirée de cette mésaventure pour le moins... cuisante. Toujours est-il que je n'ai pas réitéré l'expérience et que je me suis trouvé une cachette plus sylvestre, loin des habitations et des hommes. (1) Patois lorrain : fille