[Chronique fantastique] Cuits à point, d’Elodie Serrano

Le style du roman est léger à souhait, l’intrigue étant emmenée par une écriture fluide, spontanée et enjouée. Cela sert assez bien l’histoire, puisque que cela permet un joli dépaysement tout en détente et en mode « vidange d’esprit surchargé ».

Acherontia Nyx

Gauthier Guillet et Anna Cargali parcourent la France pour résoudre des mystères qui relèvent plus souvent d’arnaques que de véritables phénomènes surnaturels. Mais leur nouvelle affaire est d’un tout autre calibre : pourquoi la ville de Londres subit-elle une véritable canicule alors qu’on est en plein hiver et que le reste de l’Angleterre ploie sous la neige ? Se pourrait-il que cette fois des forces inexpliquées soient vraiment en jeu ?

Éditions ActuSF, collection Bad Wolf

Publication le 24 février 2020

296 pages

Illustrateur : Dogan Oztel

— Dire que nous pourrions être à Londres, marmonna Anna Cargali en regardant les champs défiler par la fenêtre de leur voiture à vapeur. Le duo de démystificateurs avait reçu deux missives la veille. L’une de Londres, plutôt pressante mais sans la moindre information, l’autre de la part de madame du Meslay, en Bourgogne, qui se plaignait de fantômes perturbant son sommeil depuis à présent un mois. Si elle les avait supportés si longtemps, elle pouvait bien attendre encore un peu, non ? Pourtant, son partenaire avait préféré la campagne française.

Elodie Serrano, in Cuits à point

La loi d’attraction universelle

J’ai été attirée avant toute chose par le côté steampunk de la couverture et l’originalité du titre. L’auteure me semblait peu connue (et là, je pense que c’est moi qui me suis tenue trop peu au courant de l’actualité littéraire), mais c’est justement pour moi un argument supplémentaire pour découvrir le roman, car j’aime lire de jeunes plumes talentueuses. Je remercie donc chaleureusement (mauvais jeu de mot) les éditions ActuSF pour ce service presse !

Démystificateurs mystifiés

Dans une France de la fin du 19e siècle (à vue de pif), Gauthier et Anna sont ce que l’on appelle des démystificateurs, c’est-à-dire qu’ils œuvrent à démasquer des prétendus phénomènes surnaturels. C’est finement imaginé de la part d’Elodie Serrano, car à cette époque, on nage en pleine ère de la Golden Down, de la théosophie dite moderne, de l’occultisme et des pseudo-sciences. La fin du 19e siècle ainsi que le début du 20e siècle constituent une période riche en affaires mystérieuses de tout poil. Il était donc ingénieux d’imaginer un métier voué à débusquer les arnaques sous-jacentes (et il devait sans doute même déjà exister à l’époque).

Pas de chance pour le duo Gauthier-Anna, les affaires sur lesquelles ils travaillent se soldent souvent sur le même triste constat : ce sont des canulars. Pour Gauthier, cela ne pose pas de problème dans la mesure où c’est un vieux grincheux il ne se montre pas ouvert d’esprit quant à l’existence du surnaturel. Anna, quant à elle, aimerait vraiment pouvoir y croire, mais son expérience sur le terrain, et surtout l’attitude plus que mécréante de Gauthier, font qu’elle devient peu à peu blasée.

Un beau jour, ils se voient appelés par les Lords d’Angleterre pour résoudre une suffocante affaire de réchauffement climatique soudain et localisé à la seule ville de Londres. Heureux de voir leur renommée traverser la Manche, ils acceptent le défi et se retroussent leurs manches pour démasquer l’odieux responsable de ce crime brûlant.

Ils ne sont décidément pas au bout de leurs surprises…

Le cab les déposa au pied de l’université de Westminster, Anton leur ayant promis que le quartier regorgeait de restaurants tout à fait acceptables. Il les guida d’un pas assuré dans des rues pavées piétonnes où les devantures s’alignaient, toutes plus colorées les unes que les autres, refusant d’en dire plus sur leur destination, jetant des sourires en coin à Anna à chaque fois, comme s’il avait eu vent d’une blague parfaitement drôle qu’il n’osait partager.

Alors, faute de savoir où ils allaient, l’Italienne se mit à observer les passants. Le quartier était animé et cossu, les dames aux chapeaux extravagants marchaient le bras passé par-dessus celui de leurs époux en costume sombre, parlant à voix basse. Anna aimait espionner les conversations des gens pour y percer un peu de leur intimité, mais difficile de distinguer la moindre parole. Seuls un sourire, une tête penchée ou une mine crispée et une distance physique maintenue trahissaient l’humeur des couples croisés.

Elodie Serrano, in Cuits à point

Zéro tracas, trop de blablas

Le style du roman est léger à souhait, l’intrigue étant emmenée par une écriture fluide, spontanée et enjouée. Cela sert assez bien l’histoire, puisque que cela permet un joli dépaysement tout en détente et en mode « vidange d’esprit surchargé ». L’histoire elle-même n’est pas prise de tête pour un sou, ce qui fait parfois du bien, même au sein des littératures de l’imaginaire où l’on voit de plus en plus d’intrigues capillotractées, avec cette sorte de course acharnée à l’inventivité dans les thèmes et les figures de style (ce qui n’est pas un reproche en soi, car j’aime quand une histoire me laisse pantoise devant une imagination si débordante). Cette lecture-ci est idéale au sortir d’une lecture plus ardue, ou après un pavé plus laborieux à achever. Et en ces temps étranges de confinement, elle a le mérite d’offrir un dépaysement certain, une bouffée d’air frais (?) malgré la touffeur des rues de Londres.

Après, le texte contient malheureusement quelques défauts, notamment cette propension à insister parfois un peu trop lourdement sur certains traits des personnages. On a parfois envie de dire : « Oui, c’est bon, on a compris que Untel est comme ça, mais là, ça devient lourd. » Autre petit défaut, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup trop de « blabla » par rapport aux scènes d’action ou aux descriptions, qui manquaient pour que le roman soit vraiment au top.

— Oh ! J’ai failli oublier ! s’exclama Anna. Avez-vous lu le Times hier ?

— Bien sûr que non ! J’avais plus important à faire, comme réfléchir sur toutes les découvertes du jour et m’efforcer de leur donner sens et cohérence.

La réflexion au-dessus de tout. Anna se demanda s’il n’arrivait pas à Gauthier de rater des choses dans ses enquêtes, ou plutôt d’y passer plus de temps que prévu, faute de vouloir se servir de tous les outils à sa disposition.

— C’est fort dommage, vous auriez fait une découverte utile. C’est donc moi qui vous la rapporte, pour une fois, expliqua Anna, taquine. Un article revenait sur cette cavité qui a mis un frein au développement du métro. Ils ont dû arrêter les travaux car le sol s’affaissait dangereusement et quand ils ont voulu sonder, pour voir s’ils ne se trouvaient pas sur une couche sableuse isolée, bien que ce soit improbable, ils sont tombés à la place sur une cavité à un mètre sous la surface. Ce qui est encore plus étonnant, car les relevés topographiques des géologues, réalisés préalablement aux travaux, avaient montré un sous-sol dense qui nécessiterait, au contraire, des outils résistants pour être creusé.

Elodie Serrano, in Cuits à point

Duo épicé

Ce que j’ai trouvé curieux – et un peu décevant aussi, je dois bien l’avouer, c’est que le duo qui fonctionne le mieux dans le roman, c’est celui composé par Anna et… Maggie ! Je trouve que le duo initial, Anna et Gauthier, ne fonctionne pas dans la mesure où ils font surtout figure de vieux couple chamailleur. Exit le prestige et le sérieux professionnel lorsque Gauthier est de la partie ! Ce personnage est juste parfaitement imbuvable. J’imagine que c’était voulu de la part de l’auteure. Le hic, c’est que j’ai le sentiment qu’elle a cherché à rendre Gauthier ronchon mais attachant, et qu’au final, je l’ai trouvé surtout particulièrement casse-pied, obtus et parfois stupide à ses heures. Un parfait anti-héros, bien campé, mais dont on a trop forcé les traits négatifs, le rendant cliché et énervant. Je me suis même souvent demandé comment Anna et les autres protagonistes pouvaient rester aussi stoïques face à lui. Je trouve qu’il s’en sort un peu trop bien face aux personnes qu’il rudoie si aisément et sans se poser la moindre question.

Celles qui portent réellement l’intrigue, ce sont les deux seules femmes du récit (en écartant la Reine Victoria et la sorcière, qui n’ont finalement qu’un petit rôle). Anna, avec son esprit curieux de nature, son ouverture au surnaturel et à tout ce qui sort de l’ordinaire, son caractère bien trempé et son refus des conventions, crève littéralement l’écran les pages du roman. Il en va de même pour Maggie, la jeune nièce d’Anton à la prodigieuse mémoire, qui brave les dangers et n’hésite pas à placer sa vie entre les mains du hasard. Ensemble, elles forment une fusion féminine détonante au milieu de ce petit monde machiste qu’est le Londres victorien. Et bien sûr, on ne peut que craquer pour Anna, cette jolie italienne qui n’hésite pas à enlever jupon et corset pour mieux se balader dans les égouts de Londres ou sur les toits des masures…

Il fut suivi sans un mot par sa nièce, toujours aussi blanche, mais incapable de résister à l’attrait de l’inconnu, de toute évidence. Anna hésitait. Une des choses qui lui plaisait, dans sa profession, était sa relative sécurité. La perspective d’aller à la rencontre d’un dragon ne lui semblait pas compatible avec ce point. Cela dit, sa curiosité aussi la titillait. Sans compter qu’il y avait une chance que Gauthier ait raison. Il lui en voudrait probablement beaucoup de ne pas être à ses côtés pour étudier quelque machinerie qu’il aurait découverte. Mais une corde, vraiment ? Elle allait immanquablement se blesser. Des jupons et des bottines étaient tout sauf une tenue adaptée à une telle activité. Si elle avait su, elle se serait vêtue différemment…

— Ah, au diable la prudence ! Vous, vous restez ici, ordonna-t-elle à l’ingénieur, qui lui semblait le plus musclé des deux. Vous guettez notre retour et vous nous aidez à ressortir de ce trou au besoin. Vous, vous filez à la Chambre, ajouta-t-elle à l’attention du géologue. Prévenez-les de la situation, ainsi que votre patron. Qu’ils fassent envoyer qui leur paraît pertinent. Secours ou soutien, selon notre devenir.

Elodie Serrano, in Cuits à point

Coup de mou

Si j’ai beaucoup aimé la première partie de l’histoire (celle où ils cherchent le pourquoi du réchauffement climatique londonien), avec son côté « recherches documentaires » (chic, une vieille bibliothèque victorienne !) et son aspect investigation sur le terrain, la seconde partie m’a moins plu. Une fois l’origine du réchauffement trouvée (beaucoup trop rapidement à mon goût), il se passe moins d’action et beaucoup plus de dialogues, de pourparlers qui n’en finissent pas et qui alourdissent considérablement du récit. À certains moments, on perd même le rythme de l’histoire, qui se veut pourtant trépidant. C’est bien dommage, je pense que cette seconde partie aurait pu être plus ponctuée d’action, de rebondissements, peut-être même de scènes à l’extérieur de Londres, pour éviter l’effet « huis clos ». J’aurais bien imaginé quelques scènes très loufoques, où les protagonistes se seraient fourrés dans des situations invraisemblables, le tout écrit avec une touche d’humour « so british ».

Autre petite déception, mais qui n’est finalement pas bien importante, c’est que le récit ne s’est pas révélé si steampunk que cela. La couverture, l’époque et la ville choisies évoquaient pourtant ce style, mais on a plus affaire ici à un roman qui oscille entre fantastique et urban fantasy. Seul le cadre le rapproche de la littérature steampunk, à mon humble avis.

En résumé

J’étais très enthousiaste à l’entame de ce roman, j’en suis ressortie détendue, mais avec encore un creux à mon estomac littéraire. En définitive, je dirais que ce roman est parfait pour se relaxer au sortir d’une lecture plus ardue, pour se changer les idées ou prendre une bonne bouffée d’air londonien (attention quand même aux vapeurs toxiques et aux coups de chaud !). Si vous aimez les héroïnes qui en ont dans le jupon, vous en aurez à coup sûr pour votre argent ! Si vous trouvez les héros ronchons et aigris agaçants, accrochez-vous à votre culotte ! Si vous aimez les dialogues bien fournis, vous serez servis, mais si, comme moi, vous préférez les belles descriptions et quelques scènes d’action, la seconde partie pourrait bien vous laisser un goût de trop peu.

Ceci étant, je sens avec cette auteure un talent certain, et je compte donc bien revenir à sa plume un de ces jours…

Ma note

14/20

À propos de l’auteure

Élodie Serrano est romancière et nouvelliste.

À quinze ans, elle découvre les forums d’auteurs et écrit ses premières nouvelle entre deux fan-fictions. S’en suit un long hiatus dû à ses études vétérinaires.

Des années plus tard, Élodie reprend l’écriture en main et s’installe à Lyon. Tandis que ses premiers textes paraissent dans des supports variés
tels que la revue québecoise « Brins d’Éternité » ou l’anthologie annuelle de Malpertuis, elle s’essaie enfin aux romans.

Naissent alors « Les baleines célestes », reflet de son amour pour le space opéra et sa fascination pour le monde du vivant.

Source : Babelio.com

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