[Chronique] Secret show, de Clive Barker

Synopsis

La vie de Randolph Jaffe, modeste employé d'un bureau de poste restante du Nebraska bascule quand, en parcourant les lettres "abandonnées", il met à jour l'existence d'une société secrète qui pratique L'Art, une sorte de magie, un savoir occulte quasi divin. Quittant le Nebraska pour la Californie, il fait la rencontre du Dr Fletcher, avec qui il met au point le Nonce. Ce dernier leur confère un pouvoir mystique et exacerbe leurs différences. Un combat de titans a alors lieu, au cours duquel les deux hommes sont projetés dans les entrailles de la Terre, où ils se retrouvent prisonniers. Jusqu'au jour où ils parviennent à féconder quatre jeunes filles et à reprendre leur combat à travers leurs "enfants".

[Chronique] Secret show, de Clive Barker

La loi d'attraction universelle…

Ce roman est mon quatrième roman lu dans le cadre de mon partenariat avec les éditions Bragelonne/Milady/Castelmore pour ce second trimestre de l'année. Je remercie donc très chaleureusement les éditions Bragelonne pour ce partenariat et la découverte de cette lecture.

Cette année, chez Bragelonne, est une année de réédition massive des écrits de Clive Barker. Cela tombe bien, car c'est aussi l'année de début de mon partenariat avec la maison d'édition, et je me fais donc un plaisir de chroniquer chaque roman de Barker qui sors cette année.

Un trou perdu…

Je dois vous avouer qu'au début, je me suis demandée où Barker voulait en venir avec son histoire de lettres perdues. J'avais du mal à concevoir où cela pouvait mener de concret. L'idée est évidemment bonne, mais elle offre tellement de possibles que cela donne le tournis. Jaffe va-t-il devenir fou à force de mener ce train de vie, enfermé à décortiquer le courrier perdu des quidams? Va-t-il découvrir un complot, tomber sur la correspondance de l'amour de sa vie, ou encore entendre parler d'un mystère qu'il aurait envie de résoudre?

Le début du roman nous donne l'impression de s'être perdu dans le trou de balle de l'Amérique avec pour seule compagnie notre "ami" Jaffe, étrange petit homme banal, effacé et sans grande ambition. Une sorte de raté, pourrait-on dire.

C'est justement ce sentiment de vie inutile, ce manque d'ambition qui va le pousser, très curieusement, à se passionner pour le courrier qu'il décortique. Un courrier qui, contre toute attente, va révéler bien des mystères qui méritent qu'on s'y attarde.

Jaffe avait eu une vie médiocre. Né à moins d'une centaine de kilomètres d'Omaha, c'était là qu'il avait été éduqué, là qu'il avait enterré ses parents, là qu'il avait par deux fois fait la cour à une femme et échoué à la conduire à l'autel. Il était sorti de l'État à quelques reprises, et il avait même envisagé (après sa seconde tentative maritale infructueuse) de se retirer à Orlando, où vivait sa sœur, mais celle-ci l'avait persuadé de n'en rien faire, prétextant qu'il n'aimerait ni les gens ni le soleil. Il était donc resté à Omaha, perdant souvent son travail pour en chercher un autre, ne s'engageant jamais très longtemps envers quoi que ce soit ni qui que ce soit, ce qui lui était bien rendu.
Mais lors de sa longue retrait dans la Salle des Lettres Mortes, il avait goûté à des horizons dont il n'avait jamais soupçonné l'existence, et cela lui avait donné de l'appétit pour les grands espaces. Quand il n'avait vu au-dehors que le soleil, la banlieue et Mickey Mouse, il n'en avait eu strictement rien à foutre. Pourquoi se soucier de partir en quêtes de telles banalités? Mais à présent, il était plus avisé. Il y avait des mystères à élucider, des pouvoirs à prendre, et quand il serait maître du monde, il anéantirait les banlieues (et le soleil s'il le pouvait) et transformerait l'univers en ténèbres ardentes où l'homme serait enfin capable de connaître les secrets de son âme.

Secret show, de Clive Barker

L'itinéraire d'un enfant gâté…

Au travers de ces écrits perdus, c'est tout un système de croyance que découvre Jaffe. En ouvrant ces enveloppes, il lève un coin du voile qui constitue l'univers et découvre des secrets magiques, des vérités cachées qui vont lui conférer une puissance inégalée. Il entrevoit des vérités jusqu'alors cachées. Le Banc, l'Art, et Quiddity, cette mer onirique à laquelle on n'accède que trois fois dans sa vie.

Jaffe se sent poussé par une force inconnue et quitte son trou de souris. Commence alors un grand voyage que l'on pourrait qualifier d'initiatique, si Jaffe n'était pas aussi "Jaffe". C'est que le bonhomme ne cherche pas à se grandir ou à devenir meilleur, non. Si vous conceviez ce roman comme un récit des révélations qui furent faites à Jaffe sur les chemins de Compostelle, ou lors de sa médiation au sommet du Tibet, chaudement entouré de son sari orange, vous vous trompez lourdement. Ici, nul miracle de Lourdes, nulle apparition de la Sainte Vierge (en même temps, vous vous en doutiez, n'est-ce pas? Avec Barker aux commandes, rien ne peut arriver d'aussi spirituel). Non, bien sûr, tout ce que Jaffe désire, c'est du pouvoir. Le pouvoir de changer sa vie minable et de devenir plus grand, plus puissant qu'il ne l'est. Et ce pouvoir, il le trouve dans cette étrange magie évoquée dans les lettres mortes qu'il triait. Une magie onirique, sombre, mystérieuse, envoûtante… et terriblement glauque.

C'est que Jaffe n'est pas quelqu'un de bien, mais alors pas du tout. Il assassine son boss, couche avec tout et n'importe quoi, violente un vieillard pétomane et laisse les cafards lui faire des gâteries (soit dit en passant, en matière de zoophilie, il y avait sans doute mieux à trouver…).

Parlant de vieillard, celui-ci sera justement le presque aboutissement de son voyage initiatique pseudo-religieux. Il s'appelait Kissoon. Ce n'était pas un cheval blanc, mais il aurait pu devenir l'idole de Jaffe… si celui-ci n'avait pas tenté de le tuer, du moins. En même temps, si Kissoon avait moins mauvaise haleine et avait pu un peu mieux retenir ses ventosités… Oui, oui, parce qu'aussi étrange que cela puisse paraître, on en est là. C'est vrai, je le raconte avec ironie, mais la scène est tout de même assez loufoque, et le personnage du petit vieux est pour le moins surprenant. Soit.

Kissoon était terrifié à présent. Il était adossé au mur de la hutte, les bras écartés à la recherche d'un point d'appui, et Jaffe lui trouva des ressemblances avec une héroïne de film muet. Ses yeux n'étaient plus mi-clos mais grands ouverts et mouillés. On pouvait en dire autant de sa bouche, grande ouverte et mouillée. Il n'arrivait même plus à proférer des menaces ; il se contentait de trembler.
Jaffe tendit une main et la passa autour de la gorge flasque du vieillard. Il affermit sa prise, sentant ses doigts plonger dans la chair. Puis il leva l'autre main, qui tenait le couteau émoussé, jusqu'au coin de l’œil gauche de Kissoon. Le souffle du vieil homme sentait aussi mauvais qu'un pet de malade. Jaffe ne voulait pas le respirer, mais il n'avait pas le choix, et dès qu'il l'inhala, il comprit qu'il s'était fait baiser. Ce souffle était plus que de l'air ranci. Il y avait autre chose là-dedans, quelque chose qui était expulsé du corps de Kissoon et qui s'insinuait dans le sien – ou du moins tentait de le faire. Jaffe lâcha le cou flasque et recula d'un pas.

Secret show, de Clive Barker

Coup de génie…

Bien sûr, Jaffe n'obtiendra rien de Kissoon, car ce dernier est furieux de la façon dont les choses se sont déroulées (et, entre nous, on le serais à moins, non? Moi aussi j'aurais envie d'envoyer sur Mars le premier venu qui essayerait de m'étrangler).

Jaffe va donc devoir trouver une autre personne, une intelligence capable de réaliser pour lui son "grand œuvre" en toute obéissance et soumission. Cette personne, il la trouvera en Fletcher, petit génie qui va mettre au point une substance appelée "nonce".

Cela vous paraît obscur, vu ainsi, n'est-ce pas? Je vous rassure, pour moi aussi, ce n'était pas évident de tout suivre.

Le Nonce, si vous voulez, est une sorte de pierre philosophale. Elle permet de transcender ce avec quoi elle entre en contact. Prenez Raul, par exemple. Raul était un chimpanzé, autrefois, et grâce au Nonce, il va devenir un vrai petit garçon. Un peu trop poilu pour son âge, certes, et incapable de mentir, heureusement pour lui, sinon il aurait eu de sérieux soucis d'appendice nasal.

Mais, à l'instar de l'Anneau unique de Tolkien, le Nonce a sa volonté propre. Il détruira son éprouvette pour mieux sauter au visage de son créateur. C'est ainsi que notre ami Fletcher se verra infligé d'une âme et d'un esprit supérieurs qui lui seront enviés par Jaffe. Et donc, Jaffe prendra le Nonce pour ne faire plus qu'un avec lui. Mais comme toujours dans les livres, il y a des méchants et il y a des gentils. Dans ce cas précis, vous vous doutez que Jaffe est meuchant! Et que Fletcher est gentil, selon toute vraisemblance.

Le premier acte du Nonce fut de mettre la mémoire de Jaffe en marche arrière, de faire défiler sa vie à reculons depuis l'instant où il l'avait touché, perçant chaque événement jusqu'à ce qu'il plonge dans les eaux des entrailles de sa mères. On lui accorda un instant de douloureuse nostalgie pour cet endroit – calme, sécurité -, puis sa vie le saisit à nouveau pour lui faire faire le voyage de retour, tout le long de sa médiocre existence à Omaha. Dès le début de sa vie consciente, il y avait eu tant de rage en lui. Contre les petits et les puissants ; contre les bons élèves et les séducteurs, ceux qui avaient toutes les filles et toutes les bonnes notes. Il ressentit à nouveau cette rage, mais de façon plus intense : comme une cellule cancéreuse grossissant en un clin d’œil pour le distordre. Il vit ses parents disparaître, se vit incapable de s'accrocher à eux, ou de les pleurer après leur départ, mais toujours saisi par la rage, ne sachant ni pourquoi ils avaient vécu ni pourquoi ils s'étaient souciés de la mettre au monde. Il tomba à nouveau amoureux, par deux fois. Fut par deux fois repoussé. Nourrit sa douleur, en décora les cicatrices, laissa sa rage grossir encore. Et entre ces échecs remarquables, le poids perpétuel des emplois qu'il n'arrivait pas à garder, de ces gens qui oubliaient son nom d'un jour à l'autre, des Noëls qui succédaient aux Noëls en ne marquant que le passage des ans. Échouant toujours à comprendre pourquoi il avait été créé – pourquoi on était créé, alors que tout n'était qu'illusion et tromperie, tout finissait dans le néant.

Secret show, de Clive Barker

Le grand combat…

Ils se raguent et se roupètent, ils s'emparouillent et s'endosquent contre terre…

Oui oui, merci Monsieur Henri Michaux. Mais en l’occurrence, ils s'endosquent dans la terre. Car leur combat sera souterrain, faisant trembler le sol américain, créant des failles, des grottes, des tunnels… des fentes aspiratrices dans lesquelles des baigneuses seront impitoyablement noyées, puis recrachées à la surface avec au creux du ventre d'étranges envies de reproduction.

Soit dit en passant, j'ai trouvé qu'à ce stade, l'auteur passe un peu trop rapidement de l'histoire initiale (celle de Jaffe et de Fletcher) à la suite, ce qui fait que le combat dont je vous parle est à peine effleuré. J'ai trouvé cela dommage, car j'aurais trouvé intéressant qu'il soit plus développé.

Ceci étant, sachez que ce combat souterrain n'est que le commencement d'un combat beaucoup plus ample et ô combien plus sournois…

Serial metteur en cloque…

C'est ici qu'intervient l'épisode de la Ligue des vierges. Quatre jeunes filles seront "choisies" par Jaffe et son concurrent, Fletcher, pour mettre au monde leurs descendants, qui continueront sur terre le combat que leurs parents mènent sous leurs pieds.

Étrange, n'est-ce pas? Eh bien, c'est la partie du livre que j'ai préféré. Jaffe, à présent devenu le Jaff, et Fletcher ne se contenteront pas de "féconder" les filles de la manière traditionnelle, pour dire les choses platement. La graine qu'ils sèment en elles est psychologique, elle les poussera à trouver un père biologique à n'importe quel prix et à concevoir un enfant, qui sommes toutes aura deux pères : le père biologique, l'humain, et le père spirituel, le Jaff ou Fletcher.

C'est à partir de ce moment-là que l'histoire prend tout son sens et devient réellement intéressante. Là où, avant, on se demandait où l'auteur voulait en venir, on voit à présent se mettre en place les machiavéliques mécanismes qui mènent au grand final.

Cette histoire de la Ligue des vierges, je l'ai trouvée absolument magistrale. L'ambiance confinée de la petite ville du sud des États-Unis écrasée par la chaleur, le scandale, les rumeurs, le côté glauque et malsain de la situation, le destin tragique des quatre filles et de leurs enfants… C'est vraiment à partir de ce passage que mon intérêt s'est trouvé éveillé, et je n'ai pas été déçue par la suite.

L'étonnement de Randy Krentzman n'avait pas étouffé sa libido. Il ne comprenait pas pourquoi cette fille s'offrait à lui gratuitement, mais une telle occasion était trop rare pour qu'il fasse la fine bouche. Aussi accepta-t-il, du ton de celui à qui on fait de telles propositions tous les jours. Ils restèrent ensemble durant tout l'après-midi, passant à l'acte non pas une fois mais trois. Elle partit à six heures et quart et rentra chez elle avec la satisfaction du devoir accompli. Ce n'était pas de l'amour. Randy était stupide, égoïste et piètre amant. Mais peut-être avait-il fait entrer la vie en elle, ou du moins contribué pour une cuillerée de liquide à l'alchimie de son ventre, et c'était tout ce qu'elle avait désiré de lui. Pas un seul instant ces nouvelles priorités ne furent remises en question. L'objectif de la fécondité était parfaitement clair dans son esprit. Quant au reste de la vie, le passé, l'avenir et le présent, tout n'était que flou.

Secret show, de Clive Barker

Comme l'auteur en parle dans l'entretien dont j'ai fait la chronique il y a peu (voir le lien ci-plus bas), il aime décrire de grandes scènes presque apocalyptiques pour progressivement glisser vers des scènes à plus petite échelle, plus intimistes, plus dramatiques aussi. On sent bien, à ce moment de l'histoire, le passage de la grande fresque où le paysage se déroule à perte de vue au petit tableau ovale centré sur un personnage, un détail, une scène de vie suspendue dans le temps. Mais on sent également que ce petit tableau ovale qui paraît presque anodin aura des répercussions gigantesques sur la grande fresque, et c'est ce qui rend cette scène terriblement attrayante.

Juste… waw!

La scène en elle-même est savamment amenée d'un point de vue narratif. Le mystère se dégage de la toute première phrase du chapitre comme une fumerolle s'échappe de la craquelure d'un volcan. Les filles allèrent deux fois dans l'eau… c'est simple, mais tellement efficace…

Le chapitre qui se déroule sous les yeux du lecteur explique effectivement la première fois où les filles allèrent dans l'eau. Mais à la fin du chapitre, on reste sur sa faim, car de seconde fois, point il n'y a… Si bien que l'on se demande si l'auteur n'a pas commis une erreur. On se questionne, on s'interroge, le mystère monte, et la tension dramatique avec… Oh, ne vous en faites pas, les réponses viendront! Mais seulement quand l'auteur l'aura décidé…

Cette simple phrase, pour moi, est un vrai coup de génie. Non contente de relancer une histoire qui aurait pu partir dans toutes les directions, elle fait grimper le suspens pour l'amener à un point quasi insoutenable. L'auteur prend le lecteur à la gorge pour ne plus le lâcher. Et ce, pour notre plus grand plaisir!

Les filles allèrent deux fois dans l'eau. La première fois, ce fut le lendemain du jour où une tempête avait éclaté au-dessus du comté de Ventura, faisant tomber en une nuit sur la petite ville de Palomo Grove plus d'eau que ses habitants ne se seraient raisonnablement attendus à en voir en une année. Cette mousson n'avait cependant pas adouci la chaleur. Caressée par une faible brise en provenance du désert, la ville cuisait à une température de plus de quarante degrés. Les enfants, qui s'étaient épuisés à jouer dans la chaleur durant toute la matinée, passèrent l'après-midi enfermés. Les chiens maudirent leur fourrure ; les oiseaux refusèrent de chanter. Les vieillards se mirent au lit. Vêtus de leur seule sueur, les amants adultères firent de même. Les infortunés devant accomplir une tâche qu'ils ne pouvaient pas repousser au soir (Dieu veuille que la température consente alors à baisser) se mirent au travail, les yeux fixés sur le trottoir, et chaque pas leur était une épreuve, chaque souffle rendait leurs poumons poisseux.

Secret show, de Clive Barker

En résumé…

J'ai préféré Secret show aux Évangiles écarlates, dans ce sens que l'histoire était mieux ficelée et comportait plus de mystère. La fin était moins brouillonne, également. Les personnages sont toujours aussi peu engageants, toujours aussi amoraux et répugnants, mais c'est aussi ce qui fait le charme des écrits de Barker – oui, il faut croire que nous autres, lecteurs, sommes un peu maso pour nous complaire ainsi dans les ambiances glauques et laisser des personnages peu recommandables peupler nos lectures…

On retrouve dans ce nouvel opus de Barker sa propension à la grandiloquence et à l'exaltation. En effet, certaines scènes pourraient presque être qualifiées de bibliques, tant le sentiment de grandiosité et de mysticisme qui se dégage du texte est puissant. C'est d'ailleurs un peu à cela que tend l'auteur, de son propre aveu (il en parlait dans l'entretien dont je vous parlais un peu plus haut).

Un dernier point qui m'a beaucoup plus dans ce récit, c'est le sentiment que rien n'est inutile, que toutes les actions, si petites soient-elles, auront une incidence sur le reste de l'histoire. Du coup, l'attention du lecteur est maintenue jusqu'à la fin, le suspens ne quitte pas le fil des pages, et on ne peut qu'en être ravi.

À très bientôt pour de nouvelles aventures livresques!

Votre très dévouée,

Acherontia.

Les autres romans de Clive Barker chroniqués sur ce blog…

[Chronique] Le protectorat de l’ombrelle. Tome 2, Sans forme, de Gail Carriger

[Chronique] Le protectorat de l'ombrelle. Tome 2, Sans forme, de Gail Carriger

Synopsis…

Miss Alexia Tarabotti est devenue Lady Alexia Woolsey. Un jour qu'elle se réveille de sa sieste, s'attendant à trouver son époux gentiment endormi à ses côtés comme tout loup-garou qui se respecte, elle le découvre hurlant à s'en faire exploser les poumons. Puis il disparaît sans explication… laissant Alexia seule, aux prises avec un régiment de soldats non-humains, une pléthore de fantômes exorcisés, et une reine Victoria qui n'est point amusée du tout. Mais Alexia est toujours armée de sa fidèle ombrelle et des dernières tendances de la mode, sans oublier un arsenal de civilités cinglantes. Et même quand ses investigations pour retrouver son incontrôlable mari la conduisent en Écosse, le repère des gilets les plus laids du monde, elle est prête !

Les autres tomes de la série déjà chroniqués…

=> Tome 1, Sans âme

La loi d'attraction universelle…

C'est grâce à un collègue que j'ai découvert cette fabuleuse série de romans (oui, c'est souvent grâce à un(e) collègue… merci à elles/eux!). Ayant lu le premier tome l'année dernière, et ayant bien sûr adoré, j'ai eu envie de récidiver ce délicieux méfait cette année.

Votre thé, avec ou sans âme?

J'ai beaucoup apprécié la façon dont l'auteure a traité le sujet "vampires vs. Loups-garous". Sans vouloir faire dans l'originalité, Gail Carriger a su ajouter au sujet une petite touche novatrice et personnelle. Les vampires vivants dans des ruches dirigées par des reines, les loups-garous vivant en meutes civilisées, et à côté de cela, ceux que l'on nomme les "isolés", ne faisant partie de rien en particulier. Il y a ce BUR, sorte d'organisme officiel chargé de veiller au bon fonctionnement de toute cette société surnaturelle, et aussi ce Cabinet fantôme… Toute une petite société fort bien rodée, savamment imaginée par l'auteure et qui revisite le sujet d'une façon très agréable. Et, il faut bien l'avouer, voir la reine Victoria qui s'en mêle, c'était plutôt drôlissime.

Sans compter une nouvelle catégorie d'être tout droit sortis de l'imagination fertile de Madame Carriger, les paranaturels, ces hommes et ces femmes nés sans âmes qui ont le pouvoir de contrecarrer ceux des surnaturels. Catégorie intéressante, car le statut de sans âme et le pouvoir qui y est lié amène tout une série de quiproquos fort comiques qui rend l'histoire adorable et délicieuse à souhait.

Acherontia, chronique de "Sans âme"

Miss Alexia Tarabotti est une "sans âme", donc, une paranaturelle capable d'annihiler les pouvoirs des êtres surnaturels qui, eux, ont un surplus d'âme. Le système produit par Gail Carriger fonctionne un peu comme la fée électricité, deux + donnent un +, deux – donnent un -, en revanche un + et un – donnent un… moins que rien?

Hé bien oui, parce qu'il faut bien avouer qu'un loup-garou ou un vampire sans son surplus d'âme, cela tourne vite au comico-tragique…

Loup-garou, donc? Eh bien, l'ombrelle d'Alexia Maccon n'avait pas de pointe en argent pour rien. Elle lui en donna à nouveau un bon coup, s'assurant cette fois que le bout entrait en contact avec sa peau. Elle recouvra la parole en même temps.

"Comment osez-vous? Espèce d'abruti, vlan, impudent, vlan, arrogant, vlan, autoritaire et, vlan, sans le moindre talent d'observation. Vlan, vlan." D'ordinaire, Alexia n'utilisait ni ce type de langage, ni ce type de violence ni ce type de langage, mais les circonstances semblaient le justifier. C'était un loup-garou : si elle ne le touchait pas, annulant ses capacités surnaturelles, il était pour ainsi dire impossible à blesser. Aussi considéra-t-elle que quelques coups supplémentaires – pour la discipline – étaient justifiés.

Sans forme, de Gail Carriger

Dans ce second tome, la petite communauté des surnaturels s'agrandit. En plus de vampires charmeurs et de loups-garous velus, on découvre la classe des fantômes. C'était auparavant des êtres surnaturels qui, à leur décès, ont laissé leur surplus d'âme sur terre. Désincarnés, ils hantent les lieux proches de leur dépouille mortelle et ne survivent pas à la perte de leurs pouvoirs surnaturels. Alexia est donc d'un grand danger pour eux, mais comme elle a un bon fond malgré son absence d'âme, elle leur laisse la paix et va même jusqu'à fraterniser avec certains d'entre eux. Une de ses domestiques au château de Woolsey est d'ailleurs une timide fantôme répondant au nom d'Autrefois Merryway. Ah oui, car lorsqu'un surnaturel meurt et devient fantôme, il abandonne aussi son prénom, remplacé par "Autrefois". Logique, non?

Ma foi, j'ai beaucoup apprécié ce nouveau concept proposé par Gail Carriger, et qui vient mettre un peu de piment dans le camp des surnaturels. Les fantômes ne sont pas ce qui se fait de plus original, mais j'ai aimé la façon dont le sujet est traité, avec légèreté et subtilité (tout le propre des fantômes, me direz-vous…).

Décalage anglais…

Un des grands points forts de cette série, c'est tout de même l'écriture de Madame Carriger, qui mêle les belles tournures stylistiques et autres délicatesses de langage à l'humour "So British" totalement loufoque et décalé que j'affectionne tant. J'aime particulièrement cette façon qu'elle a de rendre drôlissime tous les petits gestes du quotidien et les objets qui les accompagnent, ainsi que dans cette scène où elle décrit les verribles d'Alexia et leur emploi…

Alexia sortit ses verribles favorites de sa serviette et les chaussa. Leur nom correct était "lentilles monoculaires à agrandissement croisé avec modificateur de spectre", mais tout le monde les appelait des "verribles" à présent, même le professeur Lyall. Celles d'Alexia étaient en or, incrustées d'onyx sur le côté qui n'était pas pourvu de verres multiples et d'une suspension liquide. Les nombreux petits boutons et les molettes étaient également en onyx, mais ces détails ne les empêchaient pas d'avoir l'air ridicule. Toutes les verribles avaient l'air ridicule : la progéniture malheureuse de l'union illicite entre des jumelles de marine et un face-à-main.
L’œil droit d'Alexia fut agrandi d'horrible manière et hors de toute proportion tandis qu'elle manipulait une molette tout en visant le visage du potentat.

Plus bas dans cette chronique, j'ai retranscrit une scène, dite "scène de la nuisette", où Alexia décrit le "contrat" passé avec sa chemise de nuit pour qu'elle n'aille pas plus loin que le seuil du lit et échoue à tous les coups sur le sol. J'aime cette manière de presque humaniser les objets les plus familiers, leur conférant une seconde vie farfelue qui nous prête à sourire. On pourrait presque écrire un volume supplémentaire à la série du Protectorat de l'ombrelle, et qui serait intitulé "La vie secrète des objets du quotidien de Miss Tarabotti".

Autre touche d'humour qui fait irrémédiablement naître un sourire sur mes lèvres, ce sont les titres de chapitres. Jugez donc par vous-même…

  • Où des objets disparaissent, des tentes irritent Alexia et Ivy a quelque chose à annoncer.
  • Emplettes de chapeaux et autres problèmes.
  • Un fléau humanisant.
  • Où des meringues sont annihilées.
  • Pieuvres problématiques et ascension de dirigeable…

Oh dear!…

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Alexia est en avance sur son temps. Très curieuse de nature, notre petite miss a déjà maintes fois eu l'occasion de fureter dans la bibliothèque de son père, où elle a déniché des ouvrages pour le moins illicites sur le bon emploi du corps humains et de ses portions les moins visibles. Loin de pervertir notre héroïne, cela lui permet d'acquérir un esprit aventureux en la matière, tout en conservant ses valeurs de femme fidèle. Deux qualités dont son mari, le comte de Woolsey, profite allégrement, étant lui-même fin connaisseur en matière de sport de chambre. Un couple bien assorti, somme toute…

Quant à Alexia, elle aime beaucoup son mari et tient son physique en haute estime. Une opinion qu'elle aime à partager dans ses descriptions, ce qui ne sera pas pour déplaire aux demoiselles, car le comte de Woolsey est assez bien bâti…

En émettant le lourd soupir des grandes victimes, Alexia Maccon roula hors de son lit et ramassa sa chemise de nuit là où elle gisait en une flaque de froufrous et de dentelle, sur le sol de pierre. C'était l'un des cadeaux de mariage que son mari lui avait offerts. Ou plutôt, qu'il s'était offert à lui-même, vu qu'elle était en soie française d'une grande douceur et qu'elle manquait terriblement de plis. Un vêtement scandaleusement en avance sur la mode et d'une audace très française. Alexia l'aimait bien. Conall aimait bien la lui ôter. Voilà comment elle s'était retrouvée sur le sol. Ils avaient négocié une relation temporaire avec la chemise de nuit : la plupart du temps, elle ne pouvait la porter que hors du lit. Son mari était capable de se montrer très persuasif quand il y travaillait, avec sa cervelle et d'autres parties de son anatomie. Lady Maccon avait décidé qu'elle devrait s'habituer à dormir dans le plus simple appareil.

Sans forme, de Gail Carriger

Mécaniques steampunk…

Bien qu'elles ne soient pas déplaisantes, d'autres mécaniques que celles de Lord Maccon sont présentes dans l'histoire… Dans la plus pure tradition steampunk, on retrouve dans le récit de nombreux exemples de mécaniques qui n'ont de victorien que le bois et le cuivre. Le reste relève de la science-fiction uchronique, avec leurs composants aux noms délicieusement étranges et leur fonctionnement à l'éther. Je vous parlais des verribles au début de cette chronique, mais il ne faut pas oublier le dirigeable dans lequel nos héros voyagent, ou encore l'éthérographe, dont voici une petite description…

Mme Lefoux lissa le rouleau de métal d'Alexia et l'inséra dans la fente spéciale. Alexia plaça la valve de lord Akeldama dans le berceau du résonateur. Après avoir vérifié l'heure, Mme Lefoux tira sur un levier se terminant par un bouton et activa le convecteur éthérique et la solution chimique. Les lettres gravées émirent une lueur phosphorescente. Les deux petits moteurs hydrodynamiques commencèrent à tourner, générant des impulsions éthéroélectriques opposées, et les deux aiguilles coururent sur la plaque. Elles crachaient de vives étincelles chaque fois qu'elles étaient exposées l'une à l'autre à travers les lettres : la transmission commença. Anxieuse, Alexia se demandait si la pluie pouvait causer du retard, mais elle avait confiance en la plus grande sensibilité de la technologie améliorée de lord Akeldama pour passer outre les interférences climatiques.

Sans forme, de Gail Carriger

Lefoux du roi…

Dans ce second opus, il est un personnage secondaire qui prend au fil de l'histoire une importance particulière. Il s'agit de Madame Lefoux, l'inventrice française à la pointe de la mode… masculine! Madame Lefoux aussi est en avance sur son temps, et c'est tant mieux, car j'ai beaucoup aimé son personnage, un peu garçon manqué, mécanicienne à ses heures, aventurière à d'autres, et pourtant terriblement féminine. Un vrai ying-yang version humaine! Et je trouve le résultat très réussi, très équilibré.

Noooooooooooon!!!…

Et pourtant, Darth Vador ne vient pas de m'annoncer qu'il est mon père… Nooooooooooon!!! c'est le cri que j'ai poussé à la toute fin du roman. La finale ne m'agrée pas du tout… Et j'ai hâte de lire le troisième opus pour connaître la suite. Mais non, je ne vous dirai pas pourquoi 😉 Il faudra que vous vous contentiez du fait que la fin est haletante et terriblement décevante à la fois. Bien écrit, bien pensé, mais… je reste sur les dents!

En résumé…

L'embêtant, avec les séries, c'est qu'après avoir aimé le premier tome, on redoute un peu les suivants et on craint d'être déçu. Ce ne fut pas le cas ici, du moins pas pour moi. Cette seconde mouture est aussi bonne que la première. De nouveaux éléments sont introduits pour notre plus grand plaisir, les personnages évoluent et on en apprend plus sur eux, on s'y attache aussi davantage, le style d'écriture de Gail Carriger est toujours aussi doux et épicé, un mélange doux amer comme les anglais l'aiment… L'univers steampunk déployé par l'auteur est des plus agréable et assez abouti, l'histoire est plaisante et les rebondissements sont rondement menés, et la finale nous laisse tellement sur notre faim que l'on voudrait pouvoir entamer le troisième tome dans la foulée.

Bref, un second opus qui a tout pour me plaire!

Ma note : 17/20, j'ai passé un moment de lecture très agréable!

[Chronique] Le protectorat de l'ombrelle. Tome 2, Sans forme, de Gail Carriger

À très bientôt pour de nouvelles aventures livresques…

où vous découvrirez l'inspecteur Ragon et sa pantagruélique boulimie littéraire, où vous serez invités à entrer dans son univers de cuivre et de sang, dans un Paris du 19e siècle mi-historique mi-steampunk, où les meurtres seront glauques et machiavéliques à souhait, où les énigmes feront tourner vos méninges jusqu'à la surchauffe, où un ingénieux tueur en série mettra l'intelligence de Ragon à rude épreuve, et la nôtre par la même occasion, où un grand puzzle littéraire déploie des pièces qui n'attendent qu'une main avisée pour se voir remises à la bonne place, où, au final, on prend beaucoup de plaisir à jouer au Sherlock Holmes des mots et où on tombe béat d'admiration devant la complexité et le caractère multiformes du récit…

[Chronique] New Victoria, l’intégrale, de Lia Habel – part 1

[Chronique] New Victoria, l'intégrale, de Lia Habel - part 1

Synopsis…

New Victoria : une civilisation high tech obéissant aux codes et aux modes de l’ère victorienne, dont les frontières sont menacées par des rebelles curieusement difficiles à tuer. Bien loin des combats armés, Nora, jeune aristocrate en crinoline, a un destin tout tracé : épouser un membre de la haute société et collectionner les robes de bal. Faire honneur à la mémoire de son père, l’éminent docteur Dearly. Rien, dans sa délicate éducation victorienne, ne l’a préparée à un violent kidnapping, ni à survivre dans le camp d’une faction rebelle. Et pourtant elle devra surmonter ses craintes et ses préjugés pour comprendre la nature du véritable danger qui menace les vivants… comme les morts.

La loi d'attraction universelle…

Je sais que cela devient lassant, mais… la couverture! Eh oui, cet élément indispensable de l'objet-livre a encore frappé!

Et quel objet-livre! Bragelonne a, de nouveau, mis le paquet sur la présentation, parvenant à appâter même les cœurs les plus endurcis. En fine amatrice d'esthétique steampunk, je ne pouvais fondamentalement pas passer à côté. Alors, voyons voir, passons en revue les atouts séduction de ce volume… Une présentation soignée, des couleurs paon et turquoise, sombres et lumineuses à la fois, qui attirent le regard aussi sûrement qu'un éphèbe nu sur une plage, un cœur mécanique disloqué laissant apparaître un joli petit lot de rouages (et là, c'est mon propre cœur qui fond à cette douce évocation), un grand format agréable à manipuler, des tranches dorées, une petite frise baroque sur les en-têtes et les pieds de pages et, cerise sur le gâteau, les coins des pages sont arrondis. Même les intitulés de chapitres sont agrémentés de tuyauteries et de mécanismes steampunk!

Voici qui confère à cette intégrale des allures de merveilleux rainbow cake entr'aperçu dans la vitrine d'une boulangerie et qui me donne envie de m'en faire une part sur le champ!

New Victoria en portrait chinois…

Si New Victoria était une musique…

Alliant sonorités futuristes et culture zombie, The Browning décrit assez bien ce roman avec ce morceau Living dead.

Si New Victoria était un tableau…

Steam zombies, de Simon Beer.

[Chronique] New Victoria, l'intégrale, de Lia Habel - part 1
Si New Victoria était un plat…

Du tofu aux asticots. Vous comprendrez pourquoi en lisant cette chronique plus avant 😉

Si New Victoria était un juron…

Celui qui est mien et que j'affectionne le plus : putréfaction!

Quand post-apocalyptique et steampunk se mêlent…

L'univers proposé par Lia Habel est original en ce sens qu'il mêle différents genres des littératures de l'imaginaire : le roman post-apocalyptique et presque dystopique, où, suite à une série de catastrophes naturelles, la plupart des pays ont disparus et les survivants se sont réorganisés comme ils ont pu…

Cent cinquante ans auparavant, le monde était un endroit terrifiant. À cette époque, la race humaine avait déjà subi une longue liste d'horreurs. Sur terre, les pôles avaient de nouveau disparu sous des chapes de glace meurtrières, et les hivers étaient devenus longs et rudes pour un nombre croissant de nations. Les humains avaient été contraints de se replier vers les zones tempérées le long de l'équateur, créant d'importantes vagues migratoires. Des pays avaient été totalement balayés de la surface du globe par des tempêtes cataclysmiques. Cuba, l'Indonésie, l'Angleterre, le Japon. Tous avaient disparu.

La planète toute entière souffrait, mais les Amériques, selon moi, enduraient plus que leur lot de catastrophes. Les réfugiés venus du Canada étaient porteurs d'une nouvelle souche du virus de la grippe qui terrassa une personne infectée sur quatre. La famine succéda à cette épidémie, puis la second guerre de Sécession et ses destructions nucléaires.

Personne ne remporta cette guerre. Les États-Unis cessèrent d'exister. Les survivants se préservèrent comme ils le purent, se regroupant pour fonder de nouvelles tribus qui ne reposaient ni sur la race, ni sur la classe sociale, ni sur la nationalité.

Cependant, le pire restait à venir.

New Victoria, tome 1, de Lia Habel

… Et le steampunk, de par l'esthétique du roman et le choix d'une pseudo société victorienne…

La direction que nous prîmes ne fut pas le fruit d'un coup de tête ou d'une folie passagère, mais mon peuple, conservateur par nature, n'avait jamais oublié le passé. Alors que les tribus du Sud imaginaient des mondes parfaits, futuristes et complètement utopiques, ou bien sombraient dans le chaos et la misère, les miens adoptèrent un mode de vie à l'ancienne. Les robes longues redevinrent la norme pour les dames. L'étiquette devint un passe-temps national. La violence et la grossièreté furent sévèrement réprouvées. Chacun était tenu de respecter ses supérieurs et d'être bien conscient de la place qu'il occupait dans la société.

Quelques décennies plus tard, mes ancêtres avaient définitivement arrêté leur choix sur l'époque victorienne comme modèle de politesse, d'ordre et de prospérité. Lorsque le moment fut venu d'entériner notre Constitution et de baptiser notre pays, le peuple se prononça, avec une écrasante majorité, en faveur de "New Victoria".

New Victoria, tome 1, de Lia Habel

J'avoue que j'ai eu un peu de mal à m'adapter à ce mélange dans un premier temps, même si mon trouble n'a perduré que le temps de lire les trente premières pages. Je me suis sentie déroutée de voir une société "high tech" employer l'étiquette et les mœurs de l'époque victorienne. Pour moi qui suis accoutumée aux romans steampunk se passant effectivement à la fin du 18e siècle, voire au début du 19e siècle, ou même pendant la seconde guerre mondiale comme c'est parfois le cas, le décalage était si énorme qu'il m'a fallu m'y acclimater. C'est que, pour moi, une demoiselle en robe de bal et corset assise dans un fiacre et lisant… une tablette numérique… c'est délicieusement nouveau et inattendu.

Une fois accoutumée à ce décalage temporel, on devient vite accro au concept. Finalement, que nous ayons affaire à de la mécanique steampunk toute de cuivre vêtue et fonctionnant à l'éther, ou à des gadgets high tech fonctionnant à la fée électricité et visant à recréer un monde idéal basé sur l'époque victorienne, ma foi… c'est toujours de la technologie! Même si je confesse une préférence accrue pour la bonne vieille mécanique de cuivre et de laiton fonctionnant à la vapeur ou à l'éther et dotée de noms barbares qui feraient boucler les moustaches du plus puritain des gentlemen.

Une autre chose à laquelle j'ai eu un peu de mal à m'adapter, c'est le passage incessant d'un personnage à l'autre d'un point de vue narratif. L'histoire est racontée en "je", mais à chaque chapitre, la personne qui se cache derrière ce "je" change, sans pour autant que le style d'écriture soit adapté en fonction (comme on peut le voir notamment dans La horde du Contrevent d'Alain Damasio). C'est un peu perturbant au début, mais on s'y fait. Et heureusement, chaque chapitre est intitulé en fonction du nom du narrateur, ça aide 😉

Lazare et tofu…

Désolée, mais vu le thème et l'actualité, je n'ai pas pu m'en empêcher…

Une des grandes forces de ce roman, qui fait également son originalité, ce sont bien sûr les zombies. On sent que Lia Habel a mené une enquête très approfondie sur ces créatures, ne gardant que le meilleur de toutes les histoires de morts-vivants qu'elle a pu lire ou visionner.

Pour faire simple, les zombies tirent leur état d'un virus très justement nommé le Lazare (du même nom que ce personnage biblique mort depuis quatre jours et ressuscité par Jésus). L'auteur explique savamment bien les mécanismes du Lazare, ses origines, ses effets sur l'organisme et ses conséquences. Tellement bien que l'on y croirait.

Lia Habel explique aussi que certains individus qui se réveillent après leur mort sous l'effet du Lazare sont intacts, leur personnalités inchangées et leurs souvenirs indemnes, ou presque. Ces individus-là se trouveront dans les rues, errant sans but, en état de choc. D'autres, en revanche, reviennent avec un esprit beaucoup plus altéré. Ceux-là errent aussi dans les rues, mais avec un autre but, celui de grignoter du bifteck au goûter, fût-il animal ou humain.

– C'est vrai, il semblerait que nous ayons des tendances naturelles au cannibalisme, répondit-il d'un ton si détaché que j'en eus la chair de poule. Voilà ce dont je voulais parler quand je vous ai dit que votre père m'avait sauvé la vie. Au cours de ses recherches, il s'est aperçu que certains d'entre nous revenaient mieux… conservés que d'autres. Au niveau des souvenirs, ou de la personnalité, par exemple. De nouveaux morts-vivants que ses hommes croisaient avaient l'air d'errer sans but, complètement perdus et bouleversés… Ceux-là ne semblaient pas nécessairement à l'affût de leur prochain repas. C'est ainsi que sa mission s'est transformée… Eh bien, c'est-à-dire qu'en l'absence de remède sa mission est devenue de nous aider à gérer notre maladie.

J'eus l'impression qu'on venait de m'écraser une brique entre les deux yeux. Tout à coup, tout devint limpide. Mon père avait réellement vu des monstres affamés évoluer devant ses yeux. Un vieux conte était devenu réalité. Cela aurait été la même chose s'il avait découvert un dragon. Il aurait essayé de le dompter.

– C'est comme… voyez-vous, comme pour un être humain vivant, continua Bram. Il vous faut certaines choses. Vous avez besoin de nourriture, d'eau. Si vous en manquiez, alors peu importe le niveau de civilisation que vous pensez avoir, vous régresseriez. Sans ces éléments, vous deviendriez folle. Vous tueriez les autres, trouveriez des astuces pour vous les procurer. C'est un simple instinct animal. Il est difficile d'être gentil quand on est tenaillé par la faim. Eh bien, j'ai besoin de certaines choses, moi aussi. J'ai un besoin maladif de liquides, parce que je suis en train de me dessécher. J'ai un besoin maladif de protéines, parce qu'à chacun de mes mouvements, j'endommage les tissus de mon organisme, même si je ne peux plus utiliser les protéines pour me régénérer. Et les prions qui vivent dans mon cerveau ont un besoin maladif de nouvelles victimes et poussent mes synapses à me rendre un peu vif. Bref, je suis complètement reprogrammé pour éprouver le désir brûlant de trouver un beau corps bien chaud. Comme n'importe quel adolescent, voyez-vous.

New Victoria, tome 1, de Lia Habel

Deux catégories de zombies, donc… Si la première est totalement inoffensive, la seconde, en revanche, est létale. Mais comme dans tout roman post-apocalyptique qui se respecte, l'armée (ou ce qui en tient lieu) est là pour veiller au grain. Et bien sûr, quoi de plus naturel que d'utiliser les zombies sains pour lutter contre les cannibales? Après tout, ils sont sacrifiables, ils sont déjà morts…

C'est donc dans ces circonstances qu'évolue Bram, l'un des héros de cette histoire. Bram est en gentil zombie. Il marche à peu près comme tout le monde, parle normalement, a une apparence presque saine, si ce n'est le voile blanc qui recouvre ses yeux. Il calme ses envies sanguinaires en ingurgitant du tofu. Même si son corps est incapable de synthétiser les protéines pour se régénérer, le tofu a au moins le mérite de lui contenter l'estomac et les papilles (ou presque). Oui, Bram est un brave zombie, un petit capitaine au service de sa patrie, prêt à donner sa vie (?) pour sauver les pauvres Victoriens qui ne savent pas quel fléau les guette. Et comme tous les zombies de son âge, Bram est amoureux. Difficile, quand on a plus de cœur à faire battre plus fort, et quand les papillons dans le ventre ne sont en fait que des vers attirés par la chair en décomposition. D'autant plus difficile que l'heureuse élue est, elle, bien vivante…

Heureusement, Bram a de nombreux amis dans son unité. Entre Chas, Coalhouse, Renfield, et j'en passe, il n'y a que l'embarras du choix. Eux aussi sont de braves zombies, avec du caractère, toutefois. Ils ne sont peut-être que de la chair à canon, mais faut pas les emmerder! Surtout Chas, d'ailleurs. Nommée originellement Chasteté, cette jeune demoiselle a tout pour me plaire. Une langue bien pendue, un caractère bien trempé, un look d'enfer et une mâchoire d'acier.

Une héroïne et demi qui en a…

Un autre point fort du roman, c'est Nora Dearly, notre héroïne en corset et jupons. Je pense que tout me plaît dans son caractère. Et, vous savez, le caractère d'un personnage, c'est un peu comme en cuisine. Il faut user des bons ingrédients dans de bonnes proportions et éviter les mélanges hasardeux. Dans le présent cas, Nora est une jeune demoiselle qui sait ce qu'elle veut et qui fera tout pour obtenir gain de cause. Opiniâtre, mais non têtue, combative mais non garçon manqué, romantique sans être fleur bleue, sensible sans être fragile, jolie sans être canonissime, mignonne mais pas potiche, et d'une intelligence extrême, elle incarne pour moi l'héroïne parfaite, le mélange et le dosage idéal. Elle ne m'a déçue à aucun moment, mais en revanche, elle n'a cessé de m'étonner.

J'ai particulièrement apprécié son petit jeu avec Bram, jeu qui avait pour but de faire accepter à Nora la réalité de la situation avec le Lazare, le fait qu'elle soit entourée de morts et que le monde tel qu'elle le connaissait s'écroule autour d'elle. C'est un passage tout en délicatesse, parce que Bram respecte au mieux la sensibilité de Nora et ne cherche en aucun cas à la brusquer. De son côté, Nora se laisse le temps pour assimiler les bribes d'information données par Bram. C'est une sorte d'apprivoisement d'un monde nouveau, version zombie.

[Nora]

Je parvins à loger les cartouches dans le chargeur et le refermai d'un claquement sec. Je remplis les poches amples de ma chemise de nuit avec le reste des munitions. Ensuite, me forçant à calmer ma respiration, je regardai autour de moi. La salle de bains de mon père était accessible d'où je me trouvais, mais il n'y avait aucune issue par là. De larges baies vitrées donnaient accès au balcon, mais il faudrait alors que je saute dans la rue…

… ou que je grimpe sur le treillage pour rejoindre le toit.

Une fois mon plan arrêté, je me jetai sur les portes vitrées du balcon et les ouvris en grand. La chambre de mon père se trouvait juste au-dessus de son bureau et, en contrebas, je vis d'autres créatures s'engouffrer à l'intérieur par les fenêtres. Combien étaient-elles? Descendre n'était sûrement pas envisageable.

Je passai la bandoulière du fusil par-dessus ma tête, et commençai à escalader le treillage blanc fixé sur la façade de la maison. Il était recouvert de roses, dont les épines m'égratignèrent la peau et s'accrochèrent à ma chemise de nuit. Des gouttes de sang perlèrent sur mes doigts, mais je fis abstraction de la douleur.

New Victoria, tome 1, de Lia Habel

Tiens? J'ai bien dit une héroïne et demi? Une héroïne et… une paire de jambes qui avance seule? Ou alors… une héroïne et un buste qui se traîne? Rien de tout cela, je vous rassure!

Il y a une autre personne que l'on pourrait élever au rang de demi-héroïne (et demi doit ici être pris au sens de "personnage secondaire qui aurait tout d'une héroïne"). Il s'agit de sa meilleure amie, miss Pamela Roe. Pamela n'est certes pas le personnage central de l'histoire, et d'ailleurs au début, je pensais qu'elle n'était là que pour le décor, ou pour épauler Nora de temps à autre comme n'importe quelle bonne amie. Mais en réalité Pamela prend véritablement part à l'histoire, à son histoire à elle, vécue en parallèle de celle de Nora. Et on peut dire qu'elle gère la situation aussi bien que son amie.

[Pamela]

Je l'attrapai en ôtant une main de la femme et commençai à frapper. Je suis incapable de dire si cela lui fit mal ou non, mais cela la déconcentra assez pour qu'elle s'en prenne à l'ombrelle plutôt qu'à moi. Je parvins à la repousser suffisamment pour pouvoir me libérer de son poids en me tortillant, et à me relever. À bout de souffle, j'agrippai l'ombrelle comme une batte de base-ball.

Elle s'élança vers moi. Je la frappai avec force. Je parvins à la maintenir à distance, mais malgré la force des coups que je lui assenais, l'ombrelle n'était pas assez lourde pour la blesser sérieusement. J'essayai de m'échapper, mais elle était si rapide qu'elle parvint à attraper le bord de ma robe, exactement comme ma mère l'avait fait quelques minutes plus tôt, et je n'eus d'autre choix que de me retourner et l'affronter à nouveau. Elle eut tôt fait de m'acculer contre un mur, faisant de moi une proie impuissante. Elle s'approcha en sifflant, le corps penché vers l'avant, et je compris que j'allais mourir.

Je ne saurai jamais ce qui me prit à cet instant-là, quelle partie de mon cerveau commanda mes bras. Peut-être que Nora était morte et que son esprit me hurlait ses instructions. Mais, dans une dernière et pathétique tentative pour me sauver, je retournai l'ombrelle pour la tenir comme un javelot, et la lançai de toutes mes forces au moment où elle bondissait sur moi comme un animal.

New Victoria, tome 1, de Lia Habel

D'autres personnages… qui en ont moins…

Comme dans tous les bons romans, on trouve également ce que l'on appelle des anti-héros. Dans ce roman-ci, je peux en citer trois qui m'ont littéralement tapé sur le système nerveux… N'est-ce pas, Isambard Roe, Michael Allister et Vespertine Minck?

Ce ne sont pas des méchants à proprement dit, juste d’indécrottables casses-pieds qui ralentissent les héros et qui me sont antipathiques à mourir. Et Isambard, celui-là… À la seule évocation de ce prénom, mon estomac gronde tout seul dans son coin… trop proche de "Carambar"!

La belle et… le zombie!?

C'est peut-être l'élément le plus improbable de ce roman, au final. Je vous ai dit que Bram était amoureux, n'est-ce pas? Est que l'heureuse élue était une vivante? Eh bien, devinez de qui il s'agit… Je ne vous ferai toutefois pas l'affront de vous révéler si cet amour sera partagé ou non!

Mais, quoi qu'il en soit, vous imaginez cela, vous? Une romance entre une vivante et un zombie? Embrasser de la chair froide, flasque, et tout et tout? Voir votre amoureux vous regarder d'un œil languide et… plein de pus? Je ne peux pas m'empêcher de multiplier les blagues graveleuses et d'imaginer les pires scénarios.

"Tient donc, chéri, tu as l'air bien réceptif, ce soir…

– Hé ouais, ma puce, rigidité cadavérique…" ou encore…

"Hihi, chéri, tu me chatouilles!

– Et merde! Euh… t'aurais encore un peu de vermifuge?"

Oui, bon, soit. C'est rigolo, mais ça reste quand même un tantinet nécrophile, et ça, c'est franchement tek tek beurk…

Ceci dit, malgré ce côté un peu risible, j'ai trouvé ça complètement mignon au final. Et puis j'ai aimé leur respect mutuel, leur manière de s'apprivoiser l'un l'autre. Pour une amourette d'ado, les deux zigotos sont au final très matures dans leurs sentiments respectifs, et ça… hé ben ça, j'achète, évidemment!

Nora tourna son visage vers moi. Elle ne sourit pas mais, sans que je sache pourquoi, j'aimais la façon dont elle me regarda. Comme si je lui inspirais quelque chose. Comme si j'avais dit quelque chose qui résonnait en elle.

Je lui tendis la main.
– Allons danser.
Elle sourit.

Pendant les deux heures qui suivirent, nous nous rapprochâmes l'un de l'autre et nous nous touchâmes sans aucune peur ni regrets. À la fin, Nora accepta de se blottir dans mes bras pour danser un slow, mais il fallut d'abord que je la persuade que nous le dansions de cette façon chez les Punks et que ce n'était pas simplement un prétexte pour pouvoir la tenir contre moi.

Quelque chose rompit cependant le charme. Je me retrouvai à humer son odeur pour la deuxième fois de la journée, penché tout contre son oreille. Elle se raidit un peu.

– Que se passe-t-il?
– Vous sentez… le chocolat.
Elle inclina la tête.
– Le docteur Chase m'a prêté du parfum.

Je me mis à rire. Je savais qu'elle allait me détester pour ce que j'allais dire, mais tant pis.
– De la chair vivante enrobée de chocolat.
Elle rougit.
– Oh! Taisez-vous!

New Victoria. Tome 1, de Lia Habel

En résumé…

Je me suis bien amusée avec ce premier volet de la série New Victoria. J'ai aimé l'univers et le concept que j'y ai découvert, j'ai adoré Bram et Nora (et Pam) jusqu'au trognon. Les zombies sont charmants, ou presque, et paraissent parfois plus vivants que les vivants eux-mêmes.

Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est le roman du siècle, mais j'ai pris beaucoup de plaisir avec cette lecture. J'ai ri, j'ai psychoté un peu dans les moments les plus épineux, j'ai râlé sur les méchants et les emmerdeurs, j'ai été attendrie par le feu de la romance, bref… c'était bien écrit, bien conté et j'étais dans l'histoire avec les personnages du début à la fin.

Le seul point un peu moins positif, c'est que j'ai eu du mal à démarrer ce roman. J'ai dû attendre l'arrivée des gentils zombies pour vraiment accrocher à l'histoire et me laisser entraîner. Le début, quoique nécessaire à la compréhension, était peut-être un peu long.

Ma note : 17/20. Il y a de la recherche et du boulot derrière cette histoire de zombie, et j'ai trouvé les personnages vraiment bien travaillés, avec des caractères très complets et très aboutis.

[Chronique] New Victoria, l'intégrale, de Lia Habel - part 1

À très bientôt pour de nouvelles aventures livresques!

PS : Je crois que je ferais un bon zombie…

[Chronique] Kushiel. T2, L’élue, de Jacqueline Carey

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[Chronique] Kushiel. T2, L'élue, de Jacqueline Carey

Synopsis…

Vendue par sa mère alors qu'elle n'était qu'une enfant, Phèdre nó Delaunay a appris l'histoire, la théologie, la politique, les langues étrangères et les arts du plaisir, sous l'égide d'un brillant mentor qui, seul entre tous, a su reconnaître la marque rouge ornant son oeil – le signe de Kushiel qui lui vaut d'éprouver à jamais le plaisir dans la souffrance – afin de devenir une courtisane accomplie… mais aussi une espionne de talent.
Ayant déjoué, au prix de nombreux sacrifices, un complot menaçant d'engloutir sa patrie, elle doit de nouveau affronter les nombreux ennemis qui menacent le royaume.
Car, si le peuple d'Angelin aime la jeune reine sur le trône, d'autres dans l'ombre ne pensent qu'à lui ravir la couronne… Et les comploteurs qui sont parvenus à échapper à la colère des puissants ont plus que jamais soif de pouvoir et de vengeance !
Récit plein de grandeur, de luxuriance, de sacrifice et de conspirations machiavéliques, La Marque dévoile un monde de poètes vénéneux, de courtisans assassins, de monarques trahis et assiégés, de seigneurs de guerre barbares, de traîtres grandioses… vu par les yeux d'une héroïne comme vous n'en avez jamais rencontré !

La loi de l'attraction universelle…

C'est grâce au Baby challenge fantasy du site Livraddict que j'ai découvert cette lecture hors du commun, et également grâce au "swap chat" auquel j'ai participé l'année dernière, en binôme avec Melodiie qui a su extirper cette excellente saga de ma wish-list pour m'en faire présent.

Je remarque avec une honte grandissante à quel point ma chronique du premier tome de la saga, intitulé "La marque", est lacunaire et pauvreteuse. Pour la petite histoire, j'étais dans une délicate période de post-rupture durant laquelle mes chroniques se sont faites rares, affectant par-là même la vie déjà précaire de mon blog littéraire. En fait, la plupart de ces chroniques se trouvent encore dans mon dossier "Brouillon", à l'état d'ébauches plus ou moins avancées. Je me chargerai de les compléter et de les publier dans les mois qui viennent. Pour l'heure, je ne me risquerai pas à faire de chroniques posthumes, pour la simple raison que je n'ai établi aucunes notes lors de mes autopsies littéraires, et que celles-ci datent d'un an au bas mot. J'ai donc publié mon brouillon de chronique tel quel. Toutefois, je crois me souvenir de quelques impressions fugaces ressenties à la lecture du premier tome, impressions que je crois bon de remémorer avant d'aller plus loin dans ma chronique du tome second…

Comme un lointain parfum d'été…

Au travers de la plume de Jacqueline Carey, poétique et féminine à souhait, et de cette trame typiquement fantasy, j'ai eu l'honneur de découvrir une héroïne d'une grande complexité.

J'ai donc entamé le premier épisode de la saga Kushiel l'année dernière, au mois de juillet précisément. J'étais alors passablement diminuée moralement, ayant subi de violentes attaques à grands coups de "gentille mais pas baisable" et autres grenades psychologiques qui causent, des mois durant, une indicible souffrance. Bref, je me traînais dans mon divan à enchaîner les lectures et à m’empiffrer d'oursons acidulés, détruisant mon estomac et ma ligne aussi sûrement que ma vie sociale.

Cette lecture-ci est rapidement sortie du lot, m'apparaissant comme un oasis de fraîcheur et de mystère au centre de la grande brume de mon vague à l'âme. Au travers de la plume de Jacqueline Carey, poétique et féminine à souhait, et de cette trame typiquement fantasy, j'ai eu l'honneur de découvrir une héroïne d'une grande complexité. Phèdre m'est rapidement apparue comme un personnage "modèle", une femme sensible mais forte, fragile mais courageuse et téméraire, et dotée d'une terrible féminité à fleur de peau.

Le récit en lui-même regorge d'éléments que je n'avais encore jamais vu dans un roman fantasy (mais force est d'admettre que je ne suis pas experte en la matière, tout au plus amatrice). J'ai particulièrement apprécié le système de croyance d'Angelin, dans lequel l'Amour fait l'objet d'un véritable culte, ce que les D'Angelins appelle le "service de Naamah" et qui n'est autre qu'une forme de prostitution ritualisée. Pour les D'Angelins, toutes les facettes de l'amour sont sacrées. Ce n'est pas pour rien que la devise d'Elua, leur principale divinité, est "Aime comme tu l'entends". Phèdre est elle-même servante de Naamah, mais d'un type un peu particulier, car elle est aussi l'élue du dieu Kushiel dont elle porte le signe, une tache rouge ornant l'une de ses iris. Cette marque du dieu lui vaut d'éprouver le plaisir dans la douleur. Elle est ce que l'on appelle une anguissette, et elle satisfait ses client par le biais de sa soumission à leur violence.

J'ai été heureusement surprise de voir la façon dont les scènes d'amour étaient traitées par l'auteure. À l'entame des quelques 959 pages de ce premier tome, j'étais dubitative, m'attendant à une succession de scènes vulgaires à peine plus relevées que celles de Cinquante nuances de Gray – roman dont j'ai malencontreusement lu un passage et que j'ai rapidement mis de côté, écœurée par la pauvreté linguistique du récit. Dans le présent cas, que neni! L'auteure, par sa plume délicate, poétique, son imagination débordante et son sens de la rythmique, prouve d'emblée que nous sommes très loin du roman de gare. Ici, aucune vulgarité, mais un sens inné de la retenue et de la délicatesse, même lorsque les clients de Phèdre se montrent plus violents.

Kushiel, la suite…

Personne mieux que Jacqueline Carey ne saurait résumer de plus belle façon le contenu du premier tome…

Si vous n'avez pas encore lu le premier tome et que vous envisagez de le faire prochainement, je vous déconseille de lire ce qui suit par peur de vous spoiler… Vous pouvez toutefois lire le résumé à la fin de cet article, où je ne dévoilerai rien qui puisse nuire à votre appréciation de l'intrigue.

Personne ne pourra dire que je n'ai pas eu mon lot d'épreuves au cours de mon existence – bien courte au demeurant au regard de tout ce que j'ai accompli. Voilà quelque chose que je crois pouvoir affirmer sans forfanterie. Si je suis aujourd'hui comtesse de Montrève, et si mon nom figure parmi ceux de la noblesse de Terre d'Ange, je sais néanmoins ce que c'est que d'être dépossédée de tout. Cela m'est arrivé une première fois, lorsque j'avais quatre ans, le jour où ma mère me vendit comme esclave à la Cour des floraisons nocturnes. Puis une seconde fois encore, le jour où mon seigneur et mentor Anafiel Delaunay fut assassiné, et où Melisande Shahrizai me trahit pour me livrer aux Skaldiques.
J'ai traversé les immensités sauvages de la Skaldie au plus fort de l'hiver, puis affronté la colère du Maître du détroit sur les eaux déchaînées. J'ai été la chose d'un chef de guerre barbare et j'ai dû abandonner mon plus cher ami à une éternité de solitude. J'ai vu les horreurs de la guerre et j'ai vu périr mes compagnons. De nuit, je me suis glissée, seule, à pied, au cœur du camp ennemi, sachant parfaitement que j'allais au-devant de la torture et d'une mort certaine.
Mais tout cela fut bien moins difficile qu'annoncer à Joscelin que je voulais de nouveau servir Naamah.

Kushiel. T2, L'élue, de Jacqueline Carey

Aussi bien ficelé qu'un gigot…

L'auteure parvient à mêler avec grand art les différentes intrigues, de façon si inextricable que le lecteur ne peut qu'être happé dans le récit comme un piéton sur la voie ferrée – d'une façon bien plus agréable tout de même, je vous rassure…

Que voici un titre de chapitre aussi grossier que le style de Carey est fin et délicat… Mais ma foi, il résumait si bien le contenu de cette section que je n'ai pas eu le cœur d'en penser un autre…

L'histoire de ce second tome tourne avant tout autour d'intrigues politiques entre Terre d'Ange et la Serenissima, capitale des Caerdiccae Unitae. Comme l'indique le passage cité ci-plus haut, Phèdre reprend le service de Naamah, au grand dame de Joscelin, son compagnon cassilin, qui a renié son serment par amour pour elle. Elle fait ce choix autant par plaisir du service de Naamah, que par nécessité. L'enseignement que lui a prodigué Delaunay lui confère en effet des qualités d'espionne exceptionnelle, et elle entend profiter de son statut de courtisane pour en apprendre plus sur la disparition de Melisande Shahrizai, éternelle comploteuse contre la couronne de Terre d'Ange. Dans le cadre de son enquête, Phèdre se rend à la Serenissima, où doit bientôt avoir lieu l'investiture du nouveau Doge, au milieu d'un climat politique plus tendu qu'une corde d'arc.

C'est dans ce contexte que débute le récit, qui m'a d'emblée captivée et séduite, prise à nouveau entre les griffes de la redoutable et magnifique stylistique de Jacqueline Carey. De nombreux éléments semblent ne pas tourner rond dans la vie de notre héroïne anguissette, que ce soit sa relation houleuse avec Joscelin qui accepte difficilement son retour au service de Naamah – et sur ce point, je le comprends parfaitement… Monogamie, quand tu nous tiens… – ou que ce soit sa quête désespérée de la traitresse Melisande, qui reste pour Phèdre un objet de désir sans nul pareil. L'auteure parvient à mêler avec grand art les différentes intrigues, de façon si inextricable que le lecteur ne peut qu'être happé dans le récit comme un piéton sur la voie ferrée – d'une façon bien plus agréable tout de même, je vous rassure… J'admire beaucoup la logique implacable avec laquelle elle tisse la trame de son récit. Tout est si précis, chaque élément est prévu longtemps à l'avance et, comme des pièces de puzzle, ils viennent s'emboîter l'un après l'autre pour former in fine une scène terriblement bien ficelée et complexe. Moi qui, d'accoutumée, n'y entend pas grand chose en matière de politique, je sentais ma lanterne s'éclairer au fil des découvertes et des surprises qui ponctuent les aventures de Phèdre.

Une authenticité non feinte…

C'est une des rares lectures qui est parvenue à m'arracher quelques larmes, fait à marquer d'une croix à mon calendrier littéraires…

Un fait rare que j'ai pu noter à ma lecture des deux premiers tomes de cette saga, c'est que l'auteure parvient à transmettre au lecteur une réelle émotion, au travers de scènes et de dialogues authentiques et entiers. Lorsque Phèdre plaisante avec ses chevaliers, on a envie de partager leur hilarité, et l'on ressent cette camaraderie qui les unit tous. Lorsqu'elle souffre de sa relation avec Joscelin, on partage la douleur de son cœur, et lorsqu'elle est face au danger, on tremble tout autant qu'elle. C'est une des rares lectures qui est parvenue à m'arracher quelques larmes, fait à marquer d'une croix à mon calendrier littéraires…

Cette authenticité, on la retrouve jusque dans le caractère même de Phèdre, qui reste droite et intègre en toutes circonstances, toujours humble, respectueuse, emplie de tolérance et de curiosité face aux cultures étrangères. Elle qui pourrait être une simple courtisane consumée par les désirs de la chair, elle s'avère être une héroïne autrement plus complexe et profonde (si je puis me permettre, on pourrais même dire qu'elle a un bon fond… hmmff OK je sors…). J'admire sa façon de s'adapter aux situations qu'elle rencontre, aux personnes qu'elle croise, et son talent à capter la nature profonde d'une personne, don qui l'aidera à se sortir de nombreuses conjonctures plus que délicates.

Phèdre est une de mes héroïnes préférées, pour son caractère tout en finesse et intelligence. Le lamentable cliché de la belle plante nunuche et empotée en prend pour son grade, et de jolie façon!

Elle est parvenue à apprivoiser le redoutable pirate Kazan Atrabiades, farouche guerrier qui avait bâti autour de lui, suite à une expérience malheureuse, une carapace protectrice aussi épaisse qu'une peau de saurien préhistorique. Accueillie bon gré mal gré par le peuple illyrien, elle s'attire leur affection en apprenant leur langue et leurs mœurs, plaçant ainsi suffisamment de poids de son côté de la balance du destin pour influencer celui-ci de façon favorable pour tous. J'avoue sans détours que Phèdre est une de mes héroïnes préférées, pour son caractère tout en finesse et intelligence. Le lamentable cliché de la belle plante nunuche et empotée en prend pour son grade, et de jolie façon!

Mais le moment qui m'a le plus émue, personnellement, ce sont ses retrouvailles avec Joscelin. Je n'en dirai pas plus pour ne pas divulguer des éléments non désirés de l'intrigue… Je dirai juste qu'il est parfois bon pour le moral de voir deux moitiés d'orange qui se retrouvent et se complètent à merveille. Cela met un peu de baume au cœur, et cela rend espoir pour la suite…

En résumé…

Points positifs…
  • La plume de Jacqueline Carey, toujours aussi poétique, féminine, rythmée et vibrante d'émotions.
  • Les protagonistes du récit, leur caractère étudié, travaillé et complexe, et en particulier Phèdre, qui a ma préférence.
  • Le rythme soutenu du récit malgré le nombre impressionnant de pages, les nombreux rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine.
  • La trame du récit où les éléments s'imbriquent l'un dans l'autre d'une remarquable façon.
Points négatifs…
  • Peut-être certaines longueurs, par moments… et encore, c'est plus qu'hypothétique.
Ma note : 19/20 - J'avais attribué une note de 10/10 au premier tome, mais mon système de cotation était moins nuancé à l'époque. Dans le présent cas, si j'enlève un point, c'est avant tout à cause de quelques minimes longueurs dans les descriptions, mais ça reste vraiment un excellent roman que je recommande chaudement. Ce sera encore un de mes coups de cœur de cette année... eh oui, ça pleut pour le moment ^^

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"...

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"…

Lu aussi dans le cadre du Baby challenge Fantasy 2015 de Livraddict...

Lu aussi dans le cadre du Baby challenge Fantasy 2015 de Livraddict…

[Chronique] Kushiel. T2, L'élue, de Jacqueline Carey

À très bientôt pour de nouvelles aventures livresques…

… où je vous fait découvrir un album loufoque et attachant digne des meilleurs cabinets de curiosités, où je tente une lamentable incursion dans la littérature en langue de Shakespear, où les poulpes vont et viennent parmi nous tels les morts au jugement dernier, et enfin où mon dictionnaire est plus dignement employé que dans mes étagères où il faisait office de sert-livres.

– Votre dévouée chroniqueuse, Acherontia.

[Chroniques] L’échiquier du mal, de Dan Simmons

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[Chroniques] L'échiquier du mal, de Dan Simmons

Ils ont le talent. Ils ont la capacité de pénétrer mentalement dans notre esprit pour nous transformer en marionnettes au service de leurs perversions et de leur appétit de pouvoir. Ils tirent les ficelles de l'Histoire. Sans eux le nazisme n'aurait peut-être pas été cette monstruosité dont nous avons du mal à nous remettre, Lee Harvey Osvarald n'aurait peut-être pas été abattu par jack Ruby, John Lennon n'aurait pas été assassiné devant chez lui, les fanatismes de tous ordres ne se réveilleraient pas de façon aussi systématique et nombre de flambées de violence, tueries, accidents inexpliqués, n'auraient peut-être pas ensanglanté notre époque. Car ils se livrent aussi entre eux, par " pions " interposés, à une guerre sans merci. A qui appartiendra l'omnipotence ? Sans doute à celui qui aura le plus soif de pouvoir.

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La loi de l'attraction universelle…

"Ce roman perdu dans une bibliothèque de sciences appliquées, c'est un peu comme un appel du pied pour toi, non?". Puis je reportais systématiquement, baissant honteusement les bras face au volume significatif de l'ouvrage.

Cela faisait déjà quelques temps que ce livre me faisait de l’œil. Il me toisait depuis le haut des rayonnages de la bibliothèque où je travaille, et chaque fois que je passais devant, je me disais : "Ce roman perdu dans une bibliothèque de sciences appliquées, c'est un peu comme un appel du pied pour toi, non?". Puis je reportais systématiquement, baissant honteusement les bras face au volume significatif de l'ouvrage. Jusqu'au jour où… ce fameux jour d'avril où j'ai enfin pris mon courage à deux mains pour saisir cette brique et me la mettre en prêt sur mon compte lecteur. Et le voilà à présent qui me toise du haut de mes propres étagères. Quand viendra le moment où je lui livrerai bataille?

La bataille s'engage…

Par une soirée pluvieuse d'avril, je me saisis de la chose et, embrigadée dans mon plaid, armée de ma fidèle bougie parfumée et de mon réconfortant cappuccino choco, je passe à l'attaque!

Ce roman, je ne le laisserai pas longtemps me regarder de cet air narquois. J'ai ma fierté de lectrice, vous savez, ce n'est pas une brique de mille pages qui se jouera de moi! Alors, par une soirée pluvieuse d'avril, je me saisis de la chose et, embrigadée dans mon plaid, armée de ma fidèle bougie parfumée et de mon réconfortant cappuccino choco, je passe à l'attaque!

Ce fut une longue bataille, longue et épuisante. On se la jouait parfois à l'intimidation, une sorte de guerre des nerfs qui m'usait bien plus que je ne voulais bien l'admettre. Puis j'ai contracté ce virus tropical fort peu connu qui m'a, pendant une longue période, laissée sans énergie. Je ne lisais plus que par tranches de dix pages pour ensuite piquer du nez sur le volume. C'était très frustrant, car cela laissait le temps à l'ennemi de réorganiser son récit pour mieux me surprendre au tournant.

Et donc, à cause de cette somnolence intempestive, je me suis bien plus étendue sur cette lecture que je ne l'aurais dû. Et nous voici déjà fin août… Heureusement le combat a pris fin. J'ai trouvé en moi la force de lire les cent dernières pages d'une traite. Un jour de maladie, justement. Un de ces jours où vous êtes cloués au lit par une bonne grosse trachéite doublée d'une angine. Un de ces jours où de toute façon il pleut à verse et vous vous sentez diablement mieux sous vos couettes.

Du vampirisme psychique…

L'horreur va au-delà du fait de sentir une entité pénétrer sans autorisation dans notre esprit, puisqu'on n'est plus maître de nous même, de nos actions, de nos paroles.

"Ils ont le Talent…" nous dit le résumé. Mais qu'est-ce que le Talent, sinon la capacité de pénétrer mentalement dans l'esprit pour transformer le "pion" choisi en marionnette. Les protagonistes du récit emploient le terme de viol mental, tout en faisant comprendre que ce viol-ci est le pire de tous. L'horreur va au-delà du fait de sentir une entité pénétrer sans autorisation dans notre esprit, puisqu'on n'est plus maître de nous même, de nos actions, de nos paroles. Les pions ainsi violés ne sont plus qu'une coquille vide, une enveloppe charnelle dont un marionnettiste sanguinaire tire les ficelles. Ces vampires psychique peuvent se contenter de quelques actions avec le pion choisi, d'une durée d'une heure à plusieurs jours.

Mais plus effrayant encore, ils sont capables de "conditionner" un pion afin que celui-ci leur obéisse sur le long terme. Le pion perd alors toute sa personnalité et sa volonté propre. Il continue de vivre par le biais du vampire, mais il ne reste plus rien dans ce corps de ce que fut la personne autrefois. Et même lorsque le corps se détériore au point de ne plus paraître viable, le pion continue d'avancer envers et contre tout, guidé par l'esprit maléfique de son Talentueux maître. C'est ainsi que le vampire devient créateur de zombies.

L'horreur de tout cela, c'est qu'on ne sait rien faire contre eux. Ils s'insinuent dans l'esprit par la force et, une fois installés, il est impossible de les déloger. Sauf quelques privilégiés peuvent se targuer du statut de "neutre", des esprits que rien ni personne ne peut pénétrer.

Les origines de la violence…

Notre esprit en recherche de vérité voit tout à coup les pièces d'un même puzzle s'assembler en un tableau digne de Jérôme Bosch. C'est tellement criant de vérité qu'on peine à croire que tout cela n'était qu'un mauvais rêve – ou une très bonne lecture.

Grâce à cette théorie de vampirisme mental, Dan Simmons parvient à nous faire croire que de nombreux événements historiques sanglants sont liés à ce Talent, que la violence humaine que l'on a de tout temps connu découle directement de cette spécificité psychique présente chez certains individus. Ces "révélations" sur la nature de certains êtres humains nous montrent une autre version du passé meurtrier de l'humanité, une version cachée, fantasmée, qui paraîtrait tout à fait plausible si l'on ne se trouvait pas dans un roman de fiction. L'auteur a trouvé le parfait fil conducteur pour expliquer bien des guerres et bien des tueries. On en arriverait presque à douter des explications vues au cours d'histoire, on en arriverait presque à se demander si nous n'avons pas été dupés sur toute la ligne. J'aurais pu avoir vraiment fort froid dans le dos s'il n'était pas écrit "fiction" dans le résumé du roman.

Et c'est là toute la force de ce récit. Notre esprit en recherche de vérité voit tout à coup les pièces d'un même puzzle s'assembler en un tableau digne de Jérôme Bosch. C'est tellement criant de vérité qu'on peine à croire que tout cela n'était qu'un mauvais rêve – ou une très bonne lecture.

Personnellement, j'ai eu beaucoup de mal à accrocher avec cette lecture. Pas parce que c'est mal écrit, rébarbatif ou énervant, mais justement parce que c'est si bien écrit, si réel, si poignant, qu'il m'a fallut alterner avec plusieurs autres lectures pour digérer. Je suis bien incapable de me prendre autant de violence d'un coup dans les gencives. Et pourtant, question horreur, je suis rodée… Sauf qu'ici, il ne s'agit pas de diables, de démons, ou d'esprits aussi agressifs et meurtriers que fictifs. Ici, l'auteur nous plonge au cœur de la violence humaine, au plus profond de la haine et de la noirceur de l'Homme. C'est dur à encaisser. Et encore plus dur de se dire que si le Talent existait, certains sont assez tordus pour l'employer de la façon décrite dans le livre.

Des personnages contrastés…

Il y a bel et bien deux clans opposés, un clan de bons et un clan de mauvais. Et en même temps, c'est un peu normal, on est quand même bien au beau milieu d'une partie d'échecs, non?

Certains pourraient peut-être dire que les personnages de cette histoire entrent dans un schéma trop manichéen, les "gentils" d'un côté et les "méchants" de l'autre. C'est un fait qu'on ne peut pas nier, il y a bel et bien deux clans opposés, un clan de bons et un clan de mauvais. Et en même temps, c'est un peu normal, on est quand même bien au beau milieu d'une partie d'échecs, non? Et comme sur tout échiquier qui se respecte, nous avons un côté blanc et un côté noir. Ça fait peu de place pour le gris, ça…

Mais il existe une constante chez tous les personnages de ce roman, bon comme mauvais. Chaque personne est torturée à sa façon. Que ce soit les "agents du mal" qui sont pourris jusqu'à la moelle et que le Jeu rend encore plus malades et pervertis, que ce soit Saul, le rescapé des camps de la mort que le sort de son peuple continue à torturer, que ce soit Natalie, cette jeune afro-américaine qui perd un amour naissant et qui décide de se battre pour la vengeance, que ce soit Melanie Fuller, obsédée par son amour pour Willi et sa concurrence ouverte avec Nina… Chaque personnage a sa part d'obscurité, méchant comme gentil, et c'est ce qui les rend au final si humains.

Enfin, quand je dis humain… Je parle bien sûr de ceux qui n'ont pas le Talent. Car ceux qui l'ont n'ont rien d'humain, si ce n'est l'enveloppe physique, Ils se considèrent eux-même comme faisant partie d'une espèce supérieure. Mais à la lecture du récit, on peut franchement mettre en doute ce qualificatif.

Tout est dans la plume…

Qui dit changement de personnage dit changement radical de ton et de style narratif. C'est ce qui, pour moi, fait en grande partie le génie de ce roman.

Ce que j'ai vraiment apprécié dans la façon dont Dan Simmons a écrit son roman, c'est le découpage des chapitres, ni trop longs ni trop courts. Chaque chapitre commence par le lieu et la date exacte de l'action. Comme parfois l'auteur nous emmène dans plusieurs endroits à la fois, on parvient toujours à se situer, même lorsqu'on reprend le roman après l'avoir posé quelques temps.

Ce découpage du récit en courts chapitres permet également à l'auteur de changer de personnages à chaque nouveau chapitre, ou presque. Et qui dit changement de personnage dit changement radical de ton et de style narratif. C'est ce qui, pour moi, fait en grande partie le génie de ce roman. Même sans avoir lu le nom du personnage qui narre l'histoire au début du chapitre, on sait au premier coup d’œil à qui on a à faire. Celle qui, à mon sens, est la plus remarquablement travaillée, c'est Melanie Fuller. À chaque chapitre qui lui est consacré, on s'offre une nouvelle plongée dans son esprit moisi et délabré. C'est à faire se dresser les poils des avant-bras… C'est merveilleux de voir comme l'auteur arrive à se glisser dans sa peau pour la rendre plus vivante au fil des lignes, mais c'est également effrayant de penser que quelqu'un a pu imaginer une personne aussi malsaine, car il n'est pire monstre que cette vieille femme cette créature.

Quant à l'Oberst, autre personnage dont Simmons brosse un portrait profond et complexe, il est à la hauteur de la vieille Fuller, aussi fou et sanguinaire, si pas plus encore.

Un second point que j'ai trouvé vraiment remarquable, c'est le contexte historique décrit par l'auteur. Non seulement Dan Simmons est très bien renseigné en ce qui concerne l'histoire contemporaine, notamment pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, mais en plus il met en place l'histoire de ses personnages de façon toute à fait remarquable. Le passé de chacun est fournit, détaillé, tous les éléments se tiennent, tout paraît tellement réel que s'en est affolant. J'admire énormément le travail d'écriture, de recherche et de mise en place de l'histoire accompli par Simmons. Rien que pour cela et pour son incroyable inventivité, ce roman vaut vraiment le détour!

J'ai adoré ce moment, car en l'espace de quelques pages, l'auteur a donné à ces millions de morts une force d'action – fictive, mais jouissive malgré tout.

Un autre point fort que je souhaitais soulever, ce sont les nombreuses références que l'auteur fait à la Shoah. Saul, un des principaux personnages, est juif et a connu le génocide de son peuple. En tant que survivant, on revit à travers lui de nombreux épisodes de la souffrance juive dans les camps de la mort. Et s'il est un moment de notre Histoire qui me touche particulièrement, c'est bien celui-ci. Je me sens en révolte devant cette souffrance infligée à ce peuple, en révolte face à la négation pure et dure de leur statut d'être humain, de leur droit d'être tout simplement. Il y a, à la fin de ce livre, une scène particulièrement forte et touchante lorsque Saul affronte l'Oberst dans un grand combat psychique, mais je n'en dirai pas plus pour ceux qui désirent lire ce roman. Toujours est-il que j'ai adoré ce moment, car en l'espace de quelques pages, l'auteur a donné à ces millions de morts une force d'action – fictive, mais jouissive malgré tout (on pourrait même dire "juissif" XD).

En résumé…

Les points positifs…
  • Les personnages complexes et l'histoire très travaillée.
  • L'incroyable créativité de l'auteur et ce thème des vampires psychiques qui est juste génial, et très bien traité.
  • Le style d'écriture qui varie d'un personnage à l'autre, la plume soignée, la structure du récit.
Les points négatifs…
  • Une histoire pleine de violence qui peut parfois être lourde à digérer pour les plus sensibles.
Ma note : 19/20, il s'en est fallu de peu pour parvenir au maximum. Et oui, c'est un énorme coup de cœur ^^

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"

Lu aussi dans le cadre du Baby challenge Fantastique 2015 sur Livraddict

Lu aussi dans le cadre du Baby challenge Fantastique 2015 sur Livraddict

[Chronique littéraire] Les deux soeurs. T1, Guerrière, de Marie Brennan

[Chronique littéraire] Les deux soeurs. T1, Guerrière, de Marie Brennan

Quand une sorcière naît, un double d'elle-même naît aussi. Pour que la sorcière ait l'intégralité de ses pouvoirs, son double doit périr. Mais que se passe-t-il lorsque le double survit ? Mirage exerce une profession assez singulière : elle est chasseuse de primes. Sa vie dépend de ses talents de tueuse et de son intelligence, et Mirage atteint toujours sa cible. Mais son nouveau contrat va l'entraîner dans le monde ténébreux des sorcières, là où sa force et son habileté risquent de ne pas suffire pour vaincre la magie. Miryo est une sorcière qui vient de rater son examen d'initiation. Désormais elle sait qu'il existe en ce monde un être semblable à elle, un être qui est son double : Mirage. Et si elle veut obtenir la pleine maîtrise de ses pouvoirs, Miryo n'a qu'une solution: chasser la chasseresse, et la détruire.

La loi de l'attraction universelle…

J'ai trouvé avec bonheur ce livre sous le sapin de Noël cette année (ou plutôt l'année dernière, c'est vrai, nous sommes en 2015…). Son petit frère le tome 2 attend patiemment dans ma bibliothèque d'être chroniqué à son tour ^^

La première phrase…

Un univers médiéval et pourtant "atypique"…

Ce que j'ai apprécié de prime abord, outre l'écriture très agréable à lire, c'est le fait que l'auteure prenne le temps de mettre en place son univers dès le début du roman. J'ai vu que certains lecteurs avaient eu du mal à entrer dans l'histoire à cause de cela, mais personnellement, ça ne m'a pas dérangée. J'aime beaucoup de lire des univers fantasy bien aboutis, et pour cela, je crois qu'il est nécessaire de passer par une phase d'introduction au cours de laquelle le lecteur apprend à connaître l'univers dans lequel va évoluer les personnages.

Ici, l'univers que nous propose Marie Brennan reste certes conventionnel. Un univers médiéval fantasy typique, avec sa carte, ses interminables voyages à dos de cheval, ses combats d'épée, sa magie… Mais l'auteure y introduit malgré tout quelques concepts bien à elle, notamment la façon dont fonctionne la magie, et par-là même le système hiérarchique des sorcières. Ses idées m'ont beaucoup plu, car ils permettent de mettre en place une intrigue solide qui nous tient en alerte jusqu'à la fin (et qui donne envie de lire le second tome, par la même occasion). Une fois assimilés les noms de chaque rang, ainsi que les différentes castes et leur manière de fonctionner, ce n'est plus que du plaisir!

Ce que j'ai aimé également, ce sont les prénoms des sorcières, très japanisants, comme en témoigne entre autre le prénom d'une des deux soeurs, Miryo.

De la personnalité féminine…

Une autre chose que j'ai adoré dans ce roman, ce sont les personnages féminins. Outre le fait que l'on croise peu d'hommes dans le récit (en effet, les sorcières font partie d'un système de type matriarcal), les femmes sont fort bien représentées de part leur caractère fort. Mon personnage préféré reste Mirage, car j'apprécie énormément les femmes combatives, "guerrières", dotées d'une volonté à toute épreuve et d'une grande force mentale. Mais le personnage de Miryo m'a plu également, par sa grande détermination malgré les épreuves, mais aussi par son côté plus doux.

En résumé…

Les petits plus…
  • De la bonne fantasy médiévale qui ne tombe pas trop dans les clichés du genre
  • Un concept intéressant qui vient étoffer l'univers proposé
  • Des personnages féminins forts
Les petits moins…
  • Peut-être certaines longueurs dans les explications, mais encore…
Ma note : 8/10. Sans être un véritable coup de cœur, j'ai quand même passé un excellent moment de lecture, et je me réjouis de lire le second tome.

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"