[Chronique fantastique] Dans l’ombre de Paris, de Morgan of Glencoe

Non contente de déterrer les vieilles légendes de nos territoires celtes, Morgan of Glencoe exhume également toutes ces souffrances communes à celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Qui ne veulent pas y rentrer par peur de se trahir eux-mêmes. Ou qui sont obligés d’y rentrer parce que la société ne leur laisse pas le choix.

Acherontia Nyx

Depuis des siècles, les humains traitent les fées, dont ils redoutent les pouvoirs, comme des animaux dangereux.
Lorsque la princesse Yuri reçoit une lettre de son père lui enjoignant de quitter le Japon pour le rejoindre, elle s’empresse d’obéir. Mais à son arrivée, elle découvre avec stupeur qu’elle a été promise à l’héritier du trône de France ! Dès lors, sa vie semble toute tracée… jusqu’à ce qu’une femme lui propose un choix : rester et devenir ce que la société attend d’elle ou partir avec cette seule promesse : « on vous trouvera, et on vous aidera. »
Et si ce « on » était la dernière personne que Yuri pouvait imaginer ?

La loi d’attraction universelle

Quand j’ai vu ce titre dans le catalogue des éditions ActuSF (un énorme merci à eux pour le service presse !), j’ai tout de suite sauté dessus ! Ce n’est pas tellement la couverture, ni le résumé, aussi attractif soit-il, qui ont fait tilt dans ma tête. C’est surtout le nom de l’auteure, Morgan of Glencoe, qui m’évoquait une certaine harpiste bretonne connue par le biais de ma prof de harpe, mais aussi et surtout au travers des Rencontres internationales de harpe celtique de Dinan, où je me suis rendue à plusieurs reprises. Je me souviens d’une reprise à la harpe celtique de « J’ai demandé à la lune », et c’était de toute beauté. Je me souviens aussi d’un certain jeu de rôles grandeur nature avec les Uchronautes où Morgan jouait un maître à danser, et surtout, où elle s’était faite de la moustache de la plus cocasse des façons… L’intéressée s’en souviendra sans doute XD

Choc des cultures

Le roman met donc en scène une jeune fille du nom de Yuri, une princesse japonaise au quotidien extrêmement codifié. L’histoire s’ouvre sur sa jeunesse et son éducation très stricte, puis évolue vers sa vie d’adulte tout aussi stricte, si pas plus encore. Lorsque son père, alors ambassadeur du Japon à Paris, lui envoie une lettre lui enjoignant de le rejoindre en France, elle obéit et embarque à bord de l’Orient Express avec ses gardes du corps et ses suivantes. Malheureusement, à son arrivée, elle qui se réjouissait de revoir son père déchante rapidement : en effet, elle apprend qu’elle a été fiancée à son insu au prince de France. Personne ne lui ayant demandé son avis sur la question, elle se sent trahie par la seule personne en qui elle avait confiance : son père. Certes, le prince en question semble avoir tout pour lui, mais est-ce vraiment ce qu’elle souhaite faire de sa vie ?

Dans ce roman, le contraste entre les deux cultures est particulièrement intéressant et très bien décrit. On sent que l’auteure s’est documentée sur la culture japonaise comme sur les us et coutumes de la cour royale française, cela fait du bien de sentir une information bien maîtrisée et employée à propos. Personnellement, j’ai appris quelques petites choses sympas concernant la culture japonaise, notamment avec ces fameux nœuds de obi, c’était tout à fait passionnant. Malheureusement pour la pauvre Yuri, le choc des cultures n’est pas très heureux. Du point de vue du lecteur, on la sent perdue dans cette culture à la française, un peu comme un ananas dans un champ de blé. Perdue, mais surtout terriblement seule face à la prison qui se referme sur elle. Ce qui était intelligent de la part de l’auteure, c’est qu’elle réussit un parallèle symbolique entre l’emprisonnement de la jeune femme dans sa situation de princesse promise en fiançailles contre son gré, et son emprisonnement dans ses vêtements de cour, engoncée qu’elle est dans un encombrant kimono, gaînée par un obi qui l’étreint et l’étouffe, enfermée dans des chaussures qui l’obligent à ne faire que de tout petits pas… Jusqu’au jour où…

Jusqu’au jour où le choix lui est enfin donné. Elle est mise face à une décision cruciale : rester et vivre sa vie de princesse, ou partir avec pour seul réconfort la phrase « On vous trouvera et on vous aidera ». Quel que soit son choix, sa vie ne pourra qu’en être bouleversée.

Acclimatation et mélange des genres

Si, au départ, on ne peut pas vraiment dire que le personnage de Yuri soit atypique – la jeune femme étant particulièrement bridée (mauvais jeu de mots…) par son éducation très stricte et l’étiquette exigée par son rang social -, on perçoit malgré tout sous le vernis de princesse nipponne quelques particularités qui rendent son personnage interpellant. Elle se distingue déjà par son intelligence, mais aussi, et surtout, par son humanité qui pointe régulièrement au travers de froide noblesse. Yuri possède un potentiel d’évolution qui se fait sentir dès les premières pages du récit et qui nous fait espérer le meilleur pour la suite.

Et de fait, le lecteur ne sera pas déçu de ce point de vue-là ! Les choix que la jeune femme sera amenée à faire va la guider vers des situations où sa noblesse ne sera plus qu’un lointain souvenir, vers des personnes qu’elle devra traiter en égal et non pas en subalternes, et surtout vers des peuples qui lui ont toujours été présentés comme « impies », indignes d’exister.

C’est un aspect du roman que j’ai réellement apprécié. Que ce soit Yuri ou les autres personnages, ils sont tous amenés à évoluer, à se remettre en question, à se mettre au diapason des autres, à s’adapter les uns aux autres malgré les différences qui se dressent comme des fossés. Cela peut venir de différences d’espèce, comme en témoignent les relations entre les humains et les fées, mais cela peut venir aussi de différences en matière d’orientation ou d’identité sexuelle. En effet, certains personnages sont de sexe indistinct, quelque part entre mâle et femelle, à l’instar de Bran la Selkie. Parlant de cette question d’identité sexuelle, j’ai aimé la façon dont le sujet était amené dans ce roman. L’auteure ne cherche pas ici à mettre cela en avant comme un étendard dans une manifestation. Au contraire, la thématique est abordée avec un naturel tel qu’il est impossible d’y voir quoi que ce soit de honteux ou de contre-nature. Les personnages sont comme ils sont, et appréciés pour ce qu’ils sont dans leur ensemble. Nul besoin d’être « genré » ou étiqueté pour exister et faire partie intégrante d’une communauté. À l’heure où l’humain se sent dans l’obligation de poser des étiquettes sur tout, de faire rentrer toute chose dans des petites cases bien cloisonnées, bien définies, un tel mélange des genres est vraiment le bienvenu. Cela tend à prouver que l’on peut accepter n’importe qui si l’on prend cette personne dans son ensemble, sans chercher à lui apposer mille étiquettes qui, de toute façon, ne correspondraient que très partiellement à la réalité.

Une mythologie particulière

Une autre force de ce roman réside dans la mythologie très particulière et personnelle que l’auteure met en place. On sent des influences bien bretonnes évidemment, mais au-delà de la Bretagne, ce sont surtout des influences celtiques et druidiques que l’on retrouve. Par druidique, j’entends surtout le fait que les créatures mises en scène appartiennent chacune à un des quatre éléments. Les Selkies pour l’eau, les Aelings pour l’air, les feu follets pour le feu, principalement. Je ne me souviens pas avoir rencontré l’élément terre, mais il est fort probable qu’il soit aussi de la partie. À côté de ces peuples de Faerie, on retrouve aussi les Fomoires, qui font l’un ou l’autre passage éclair dans le récit. Je suis bien contente de retrouver des créatures telles que les Selkies et les Fomoires, trop peu souvent évoqués dans les littératures de l’imaginaire, au contraire des vampires et des loup-garous qui commencent fameusement à pulluler,et à me sortir par tous les trous à force de trop d’occurrences. Non, mais oh ! Ça va bien, maintenant ! Un peu de créativité, que diable !

Et la créativité, Morgan of Glencoe n’en manque pas… Bien sûr, lorsqu’on me parle de féerie, je ne peux qu’adhérer ! Je suis moi-même une fan inconditionnelle des vieilles légendes et des créatures qui les peuplent. Le petit plus avec ce roman, c’est que Morgan s’inspire de ces légendes pour mieux les remodeler à son image. Ainsi, les Selkies de son roman sont bien différents de ceux des légendes que j’ai pu lire à ce sujet. Les Aelings, quant à eux, m’évoquaient plus des sortes d’elfes, avec un petit côté aérodynamique en plus. Et, bien sûr, les feux follets sont adorables dans leur façon d’être, avec leur petite étincelle de génie pour tout ce qui est mécanique. Ils donnaient une petite touche steampunk rafraîchissante et bienvenue à la communauté féerique. Et je oublié de parler des nocturnes, ces êtres un peu étranges aux cheveux blancs qui ont mauvaise réputation en raison de croyances erronées à leur sujet. Ainsi, c’est tout un écosystème, que dis-je ! une mythologie… qui s’offre à nous dans ce premier tome d’une saga que j’ai bien envie de continuer à suivre. Chacun de ces êtres fantastiques est attachant à souhait !

Aux racines du monde

Comme de juste, les peuples féeriques sont très mal acceptés dans la société humaine. Mais peut-on vraiment s’attendre à ce qu’un humain réagisse autrement que par la violence envers ce qui lui est différent et qui l’effraie ? Force est de constater que c’est souvent ainsi que les choses se passent par chez nous. Quelqu’un qui a une couleur de peau différente de la nôtre ? On le traite encore moins bien qu’un animal. Quelqu’un qui a une orientation sexuelle différente de la « norme » ? On lui fait comprendre que c’est contre-nature. Parfois par la violence la plus honteuse. Un migrant ? On lui botte les fesses pour qu’il ne fasse plus « tache » dans le paysage. Un handicapé ? On se moque de lui dans les cours de récré. Parce que la connerie commence dès le plus jeune âge, croyez-moi. Un surdoué ? On le rabaisse pour l’obliger à se tenir à notre niveau. Surtout, il faut rester dans la norme des gens bien-pensants. Rentrer dans toutes ces petites cases imbéciles. On s’y sent à l’étroit, mais au moins est-on socialement accepté, en apparence du moins. Quoi, moi, en colère contre mes contemporains ? Non, ce n’est qu’une illusion !

C’est très exactement ce terreau-là que ce roman vient remuer, avec beaucoup de justesse et de bienveillance (ah, la bienveillance ! ce sésame des relations humaines que l’on oublie si souvent…). Non contente de déterrer les vieilles légendes de nos territoires celtes, Morgan of Glencoe exhume également toutes ces souffrances communes à celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Qui ne veulent pas y rentrer par peur de se trahir eux-mêmes. Ou qui sont obligés d’y rentrer parce que la société ne leur laisse pas le choix.

C’est un combat qui est illustré par le peuple des Rats, ces réfugiés vivant dans les égoûts de Paris et qui rêveraient de pouvoir vivre à la surface sans discrimination. C’est aussi un combat que défendent les gens du rail, ceux qui travaillent à bord de l’Orient-Express. La capitaine de la rame 5, aux allures de garçon manqué mais qui a un cœur en or et des valeurs humaines qu’elle défend corps et âme. Sir Edward qui a organisé la société des Rats et en a édicté les règles de vie, des règles basées sur l’égalité et la fraternité. La bienveillance, une nouvelle fois, qui est la clé de tout.

En résumé

Je pourrais rentrer plus avant dans la symbolique de ce roman, qui est très forte et très intéressante à étudier, faire mille parallèles avec des situations que nous vivons au quotidien. Mais je préfère vous laisser vous faire votre propre idée, sans trop vous en dire. Sachez juste que ce roman n’est pas qu’un simple récit d’aventures fantastiques, il y a beaucoup de belles choses à en tirer. Et, chose appréciable, ce n’est pas non plus un de ces textes moralisateurs dont on sort plus agacés qu’autre chose. L’auteure nous laisse le choix de profiter de l’intrigue pour ce qu’elle est, ou d’y voir quelque chose de plus, de conférer au texte une portée plus symbolique, plus humaniste. Quoi qu’il en soit, je ne peux que vous conseiller ce roman. D’un point de vue purement stylistique, l’écriture est fluide et agréable, le suspens est très justement dosé, les personnages sont complexes et attachants, et surtout, une chose qui se fait rare et que j’apprécie, il n’y a pas de happy end à la Disney. Je le recommande en particulier à celles et ceux qui recherchent une thématique plus originale que les traditionnelles créatures du folklore, les vampire/loup-garou/sorcière/zombie/dragon/sirène et autres.

Alors… Will you go, lassie, go ?

Ma note

18/20

À propos de l’auteure

Bonjour ! Moi c’est Morgan of Glencoe, je suis Bretonne même si j’ai un nom écossais, je n’arrête d’écrire que pour jouer de la harpe celtique ou faire du JDR et du GN, et j’aime le thé, les phoques, les ratons-laveurs, mon chat, et le whisky. Voilà voilà.

Source : Interview de l’auteure sur le blog Les chroniques du chroniqueur

4 réflexions au sujet de « [Chronique fantastique] Dans l’ombre de Paris, de Morgan of Glencoe »

  1. L’autrice s’est parfaitement reconnue dans la reprise de « J’ai demandé à la Lune » à une seule main pour cause de l’autre était dans une attelle XD et bien sûr pour les souvenirs épiques de ce maître à danser à la glorieuse moustache. Du coup, I KNOW WHO YOU ARE !!!
    J’en profite pour te donner quelques infos de background en rab, comme je sais que tu aimes ces choses-là : les fées de la Terre sont les Sylfes (comme Lilas, Oak et Tina dans le bouquin) et ceux que tu appelles les « nocturnes » sont des Spectraux, les fées de la Brume, car non, il n’y a pas 4 éléments dans le monde de LDG, mais bien 7. Et une fée par élément, donc. Promis on en saura plus dans le tome 2.

    D’ici là, si tu veux retourner dans le monde de LDG, y’a un calendrier de l’avent sur ma chaîne Youtube avec des petites histoires sur les personnages, tout se passe avant le tome 1 donc pas de spoil promis.

    Et ta conclusion est juste la meilleure : will ye go, lassie, go ?

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