Une chronique steampunk…
par Acherontia Nyx
Acherontia
L’intrigue est, la plupart du temps, menée tambours battants, pour vous emmener de rebondissements en chutes inattendues. Même les parties qui pourraient être considérées comme plus descriptives ne paraissent pas rébarbatives. La faute en est à l’excellente écriture de Johan Heliot, qui manie le français aussi bien qu’il jongle avec l’Histoire, en retricote le fil à sa manière.
Synopsis

Printemps 1889. Un vaisseau hybride de chair et de métal fait irruption dans le ciel de Paris, stupéfiant la foule venue célébrer la clôture de l’Exposition universelle. L’humanité entre en contact avec les extraterrestres Ishkiss et découvre une technologie qui surpasse ses rêves les plus fous.
Dix ans plus tard, l’Europe s’est transformée grâce à l’alliance rendue possible entre la vie et le métal. Pourtant, la révolte gronde, menée par les artistes et les écrivains exilés en Amérique. La science fabuleuse apportée par les créatures d’outre-espace est devenue un instrument d’oppression entre les mains de l’Empereur français. Les droits des peuples sont bafoués, les opposants déportés grâce à la nef ishkiss vers le nouveau bagne que Louis Napoléon vient d’inaugurer dans les entrailles de la Lune.
Quels sont les véritables desseins des alliés du maître de l’Empire ? La réponse offre la clé de l’éternité. Un seul homme sur Terre est peut-être capable de l’entrevoir : celui dont les rêves à présent dépassés ont à longueur de pages fasciné ses semblables…

La loi d’attraction universelle
J’ai acheté cette intégrale édition prestige l’année dernière sur le stand des Indés de l’imaginaire, à Trolls et Légendes (Mons, Belgique). Cela faisait déjà quelques temps que j’avais cette série en tête, qu’elle me tentait énormément. Donc, quand je l’ai vue sur le stand, j’ai tout naturellement craqué ! Même si l’auteur n’était pas là pour me le dédicacer…
Petite anecdote, à l’époque, c’était une de mes premières sorties avec mon compagnon… avant que nous soyons ensemble. On flirtait, somme toute. Et il se fait que j’avais acheté tellement de romans sur ce stand que j’ai oublié cette trilogie sur la table alors que je l’avais achetée ! Mon compagnon, qui travaillait alors dans les backstages de Trolls et Légendes, est allé me le chercher le lendemain et me l’a apporté au travail le lundi suivant. D’où résonnent dans ce tome toute une foule de merveilleux souvenirs…

Un auteur steampunk qui s’ignore…
La première chose que j’ai aimée, avec cette édition, c’est la préface d’Étienne Barilier, très instructive comme toujours, notamment avec le fait que l’auteur ignorait tout du mouvement steampunk en écrivant ce roman. Ce qui est totalement fou, car son récit rentre parfaitement dans le style ! Enfin, pour le premier tome, du moins, car pour les suivants, le récit relève plus de l’uchronie. Et encore, pour le second tome, cela se discute… C’est ce que nous verrons au fil des chroniques tome par tome, ainsi que de la chronique récapitulative de la sage.
Une incursion dans l’Histoire
D’emblée, l’on rencontre une belle brochette de personnages historiques. Victor Hugo lors de son exil à Guernesey, Jules Verne, Louis-Napoléon Bonaparte, le commissaire Jaume (?)… Et… c’est ainsi que je m’aperçois que je n’y connais vraiment rien en histoire française ! Normale, je suis belge, me direz-vous. Durant mes études, du primaire au supérieur, on nous a surtout bassinés avec l’histoire de Belgique, et la Guerre, surtout la Guerre. Mais pas un mot sur la France, ou si peu. Peut-être un peu de Révolution, et encore… Je me suis sentie, un peu perdue, du coup. Et un peu bête, aussi. « Comment ? Victor Hugo a été exilé ? Trois fois ? Les bras m’en tombent !« . Eh bien, voici de quoi « combler » mes lacunes ! Ou pas… Parce que, bien vite, l’histoire bascule, ou plutôt l’Histoire avec un grand H. On tombe très rapidement dans une uchronie aussi passionnante que débordante de créativité. C’est, selon moi, l’un des points forts du roman.
Nefs insectoïdes et Dame de Fer
C’est ici que les Romains s’empoignèrent, cet instant où l’Histoire telle qu’on la connaît (sauf moi) dérape et qu’on se retrouve avec des « et si… », des Berlin en bouteille et des Paris sur le bouchon. Nous sommes à l’exposition universelle de Paris. Une étrange nef débarque en explosant la verrière construite pour l’événement. L’Humain découvre l’Ishkiss, race extraterrestre dont l’habitat le plus récent n’est autre que la Lune. Que fait l’Humain ? Les chasser à coups de pierre, me direz-vous. Je ne pourrai pas vous donner tort, cela paraît l’issue la plus logique étant donné la propension de notre espèce à rejeter en bloc tout ce qui est jugé différent (et donc menaçant). Sauf qu’ici, pour notre plus grand bonheur, il n’en est rien. L’Humain « accepte » l’arrivée de l’Ishkiss. Pourquoi ? Parce qu’il s’aperçoit très vite qu’il peut en tirer profit. Hé, on est Humain ou on ne l’est pas ! Là où l’Humain devient maître dans l’art de la mécanique, l’Ishkiss excelle dans celui du vivant. Mettez les deux ensemble, cela donne du curieux engins biomécaniques surpuissants. Là où la technologie Ishkiss atteint ses limites, la mécanique humaine vient en renfort, et vice-versa. Prenez la nef atterrie à Paris, par exemple. Ce sont les Humains qui vont la réparer à grands renforts d’huile de coude et de métal en fusion, de rouages et d’électricité. Prenez à présent Bonaparte, lui aussi est en piteux état. Les Ishkiss vont naturellement lui rallonger la vie en le rafistolant à l’aide de tissus de leur cru. Belle collaboration que voici !
Rapidement, l’Humain, égal à lui-même, projette d’aller à son tour sur la Lune, grâce à la nef Ishkiss réparée par ses soins. Qu’à cela ne tienne ! Allons coloniser ailleurs, puisque nous commençons à être à l’étroit sur Terre ! Et puis, avouez que ça le fait, de voyager sur la Lune… Une station lunaire va donc être construite, pour des travaux scientifiques, l’amélioration des technologies humano-Ishkiss, mais aussi… pour y placer un bagne ! Étonnant, n’est-ce pas ? Cela me rappelle d’ailleurs ce roman de Cécile Duquenne, Les foulard rouges. Il y a avait aussi un bagne terrien sur une planète du nom de… comment était-ce, déjà ? Ah, oui ! Bagne…
Dans ce bagne, on y envoie les prisonniers jugés dangereux, ceux qui prennent de la place dans les prisons terriennes. Et puis aussi ceux qui sont jugés dangereux pour le Régime en place… les anarchistes, les libres penseurs, ceux qui se battent pour une société plus juste. Parmi eux, Louise Michel, institutrice d’abord, puis ensuite anarchiste, franc-maçonne et féministe, qui popularise le mouvement libertaire en France (ne pas confondre le mouvement libertin ^.^).
Histoire trépidante et mots doux
Vous avez, tout comme moi, tendance à piquer du nez sur vos bouquins ? Là où je vous emmène, vous pouvez laisser la canette de Red Bull et la tasse de café au placard, vous n’en aurez pas besoin. Car l’auteur a le chic pour happer son lectorat et le captiver jusqu’à plus soif. Ce roman est un véritable manifeste anti-corneille ! Pas de bâillements intempestifs à l’horizon, pas le moindre temps mort, pas même une toute petite sensation d’ennui au détour d’un paragraphe peut-être moins cadencé. L’intrigue est, la plupart du temps, menée tambours battants, pour vous emmener de rebondissements en chutes inattendues. Même les parties qui pourraient être considérées comme plus descriptives ne paraissent pas rébarbatives. La faute en est à l’excellente écriture de Johan Heliot, qui manie le français aussi bien qu’il jongle avec l’Histoire, en retricote le fil à sa manière. Au final, c’est un régal pour les lecteurs passionnés et les amateurs de beaux mots !
Clins d’yeux en goguette
Ainsi que le souligne Étienne Barilier dans sa préface, les clins d’yeux faits par l’auteur son nombreux. Certains sont aussi discrets qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine (oui, j’exagère, parce que tout est inclus en finesse dans l’histoire, même si cela saute aux yeux). D’autres sont fugaces, discrets, surtout pour ceux qui, comme moi, feraient bien de revoir leur culture générale ! Ainsi, je viens de m’apercevoir que je suis complètement passée à côté d’Isidore Bautrelet, journaliste dans le roman ici chroniqué, et personnage d’une aventure d’Arsène Lupin dans la « vraie vie ». Ce que je me sens gourde, des fois ! Ceci étant, j’étais ravie de faire cette chasse à la référence culturelle, fière que j’étais lorsque j’en dénichais une. Donc, si une inculte telle que moi y trouve son bonheur, imaginez un peu les meilleurs candidats de Question pour un champion… Que du bonheur, vous dis-je ! C’est ainsi qu’on s’aperçoit que, non content de maîtriser son sujet historique à la perfection, Johan Heliot possède aussi une large culture générale qui lui permet de jongler avec des personnages et des faits ayant existé. Mieux même, de se les réapproprier ! Pour ça, Monsieur, chapeau bas ! Acherontia vous salue bien…
En résumé
Que dire, sinon que ce fut parfait ? Intrigue trépidante, personnages passionnants, intrigue parfaitement ficelée, mystère, exotisme, technologies farfelues, langue française ciselée comme un riche bas-relief, imagination débordante, aucun temps mort, des clins d’yeux à la culture générale à tours de bras… J’ai dégusté, dans tous les sens du terme !
Mon seul regret ? Ne pas avoir assez de culture pour apprécier l’étendue des qualités de ce récit…
Ma note : 19/20

Attention ! Ce livre peut nuire gravement à vos heures de sommeil !




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Ligne 1, lieu : La LUNE seule le sait
Très belle chronique et jolie histoire personnelle associée 🙂 je n’ai pas encore lu ce Johan Heliot la mais j’en ai découvert d’autres et tu sens le passionné d’histoire. Moi j’adore ! Et ta chronique me donne envie de tout laisser tomber pour courir à la librairie me chercher ce tome 1.
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Pour l’instant j’ai son autre roman sur Louis XIV à lire mais cette autre série a l’air pas mal ^^
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