[CHRONIQUE LITTERAIRE] Port d’âme, de Lionel Davoust

Nocturne en do mineur

J’ai surtout apprécié le lyrisme à fleur de mots qui émane du texte comme une brume de minuit sur un lac d’argent, cette « magnification » de la nuit et de la nature nocturne et cette beauté douloureuse (ahaaaah, indice !) que l’on ressent à l’approche des personnages, de leur récit de vie, de leurs liens et de leurs émotions.

Pour la petite anecdote

Livre trouvé en juin 2022 à l’Enseigne du Commissaire Maigret, librairie d’occasion à Liège (Belgique). Première pêche.

J’ai tourné la dernière page de Port d’âme hier avec grand dépit… Comment, c’est déjà fini ? « Déjà », c’est un grand terme, enfin. Ce roman, je l’ai traîné pendant dix jours en lecture pourtant quotidienne. Le problème ? Un univers et des personnages bien trop attachants… Alors vous savez quoi ? J’ai pris mon temps ! J’étais en congé de Noël, peinarde chez moi, j’avais pour moi toute seule un canapé (l’Amoureux squattait le Chesterfield du salon d’à côté), un beau sapin de Noël sous les yeux, et un Maine Coon en mode cocooning sur les genoux (pelage fluffy d’hiver en option). Je n’allais tout de même pas me priver ! Alors, j’ai siroté chaque page comme un bon cocktail d’été. Et ça m’a fait du bien ! Surtout si l’on considère que, la semaine dernière, j’étais en plein bouclage du dernier numéro du magazine Metallian. C’était donc l’idéal pour mes petites pauses « repos neuronal » !

Ça parle de quoi ?

Port d’âme, c’est d’abord un beau roman de fantasy que je qualifierais plutôt de « steampunkisante ». L’univers en lui-même est plutôt roots, à tendance 19e siècle, même si c’est plutôt difficile à dire. Ce sont surtout des termes comme redingote ou robe en velours qui m’y ont fait penser. Ça, et la technologie plutôt avancée, bien sûr. Pour autant, je ne qualifierais pas cette dernière de rétrofuturiste. On se croirait plutôt dans une sorte d’époque d’industrialisation progressive où les progrès techniques tentent de percer l’obscurité des âges. En matière de technologie, vous entendrez surtout parler de conversion dranique, la dranaclase étant une roche qui, traitée d’une certaine manière, dégage une énergie semblable à l’électricité (comme je l’ai compris). Mais il s’agit en fait d’une technologie ancestrale dont le savoir a été perdu, et que les scientifiques tentent de retrouver. Le petit hic, c’est que la dranaclase réduite en poudre et raffinée donne aussi une drogue très puissante appelée drana. Les expérimentations scientifiques sont donc souvent liées au commerce peu reluisant de cette drogue.

Toute l’histoire ou presque se déroule à Aniagrad, la capitale du commerce et des plaisirs par excellence. Une sorte de New York version 19e siècle croisée avec les marchés de Marrakech, si vous préférez. Mais Aniagrad a la particularité de vendre tout, même ce qui n’est de prime abord pas vendable. Son âme, par exemple. Celle-ci se vend morceau par morceau, sous forme de souvenirs mêlant les sens et les émotions, et grâce à un rituel de Transfert bien particulier.

Le nobliaux marin et la Vendeuse gothique

Tout commence avec l’histoire de Rhuys, jeune descendant d’une famille noble qui s’est vue déchue par une machination d’un affreux vilain qui en voulait à leur notoriété. Pour expier la déchéance de sa famille, Rhuys est banni pendant sept et doit servir la Marine. À la sortie de sa peine, il débarque à Aniagrad dans le but de rendre à sa famille sa grandeur d’antan. Vous l’imaginez aisément, ses plans ne vont pas se passer comme prévu. Sitôt mis les pieds dans la capitale du commerce, les ennuis débarquent, et le jeune homme encore très inexpérimenté en matière de politique doit faire face à différentes intrigues qui vont le plonger au cœur d’une réalité qu’il n’est pas près à accepter. Que ce soit le monde qu’il découvre en quittant son bateau, ou que ce soit certaines vérités cuisantes concernant sa famille, il va devoir jouer des coudes pour continuer à évoluer dans une société de loups tout en préservant ses valeurs altruistes. L’issue de son sort est déjà incertaine, et il se fait qu’en plus, il s’amourache d’une Vendeuse d’âme attirée par la tragédie et la beauté de la nuit qui est venue chercher l’oubli d’un passé dont elle refuse de parler.

Je dois bien avouer que c’est ce point que j’ai préféré par-dessus tout dans ce roman. L’auteur évite l’écueil de la romance à l’eau de rose, et même la fin guimauve où la belle finit quand même par tomber dans les filets de son prince. Je n’en dit pas trop pour ne pas vous gâcher la fin. Mais cette relation-là est vraiment très touchante, tout en nuances et en complexité, avec une intensité que l’on ne soupçonnerait pas de prime abord. J’ai été bluffée par le talent de l’auteur à dépeindre des personnages hyper travaillés, avec des personnalités tortueuses et torturées, des réactions et des dialogues qui sonnent vrai. Et l’issue de cette relation est juste aussi belle que désespérée, à l’image de ses deux protagonistes. Si ce n’est pas de l’amour véritable, je ne sais pas ce que c’est ! Cette histoire me rappelle à juste titre qu’il y a autant de façons d’aimer que de personnes sur Terre. Et c’est ça qui est beau, justement. Merci, Lionel Davoust, de ne pas nous avoir servi les sempiternelles mièvreries sentimentales qu’on peut lire trop souvent, ni même ces scènes de sexe pour grands ados dont fourmillent les romans bit-lit.

J’ai adoré le personnage de la Vendeuse (je tairai son nom pour vous laisser la surprise) car elle a un côté très gothique, avec son culte des beautés nocturnes, son ressenti très particulier qui lui permet de voir de la beauté dans ce qui est sombre ou triste, et sa poésie à fleur de peau. J’ai aimé chacun des souvenirs qu’elle a transféré à Rhuys, car chacun d’eux était complexe, riche d’expériences, de sensations, d’émotions. J’ai aimé sa force intérieure bien masquée par son apparente fragilité. J’ai aimé son côté farouche, presque sauvage, tout comme sa façon de faire respecter sa réserve. Rhuys était touchant aussi, mais son côté chevalier blanc de jeune homme trop naïf était parfois un tantinet agaçant. Heureusement, il apprend vite, le gaillard.

Expectations vs. Reality

Une grande partie du roman oscille entre errances poétiques et réalisme exacerbé, entre passages très oniriques et scènes d’action, entre lyrisme et récit effréné. L’auteur parvient à trouver l’équilibre parfait entre toutes ces notions pourtant assez opposées, tout en rythmant son récit à l’aide de séquences d’action pure, avec une touche de suspens. Malgré ces mélanges étonnants, j’ai trouvé l’ensemble parfaitement abouti et très homogène. Le lecteur ne s’embête pas une seconde mais retrouve malgré tout un peu de souffle grâce aux paragraphes lancinants, presque hypnotiques, qui traitent des Transferts d’âme.

Je pense que j’aurais juste aimé en savoir encore plus sur l’univers dépeint. Ce n’est pas un défaut, mais surtout un gage de la qualité du « worldbuilding » mis en place par l’auteur. Quand on veut en savoir plus, c’est qu’il y a un réel intérêt. Une petite carte géographique n’aurait pas été de refus. Je sais que ça fait un peu « bateau » en fantasy, mais je suis une inconditionnelle des cartes en début de roman ! Et puis, j’ai vu que l’auteur a écrit deux autres romans inscrits dans cet univers, donc je pense satisfaire ma soif en les ajoutant à ma PAL très prochainement.

En résumé

Port d’âme est un très beau roman de fantasy à intrigues politiques. L’écriture est léchée, comme l’univers mis en place par l’auteur, qui se trouve être très abouti et captivant. J’ai surtout apprécié le lyrisme à fleur de mots qui émane du texte comme une brume de minuit sur un lac d’argent, cette « magnification » de la nuit et de la nature nocturne et cette beauté douloureuse (ahaaaah, indice !) que l’on ressent à l’approche des personnages, de leur récit de vie, de leurs liens et de leurs émotions. L’auteur évite les clichés du genre avec une belle réussite, du moins dans la relation des deux personnages principaux, riche et somptueuse de complexité. Quant aux intrigues plus politiques, elles sont bien ficelées et vous réservent quelques « twists » inattendus qui sont du plus bel effet. J’ai vraiment eu du mal à laisser ce roman, il m’en a coûté de passer à autre chose tant la poésie qui en émane m’a fortement imprégnée.

Une chose est sûre, je ne verrai plus jamais la nuit de la même façon…

Ma note

17/20

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Acherontia Nyx et ses chroniques à l'encre de nuit

Acherontia Nyx est une fière trentenaire issue des pluvieuses contrées liégeoises. Fervente passionnée des cultures gothiques et metal, lectrice compulsive de SFFF, harpiste à ses heures, folle de randonnée et secrétaire de rédaction pour le magazine Metallian, elle aime semer à tout vent ses graines de folie qui germeront sans doute dans les esprits de ses lecteurs. Acherontia déteste le rap, les incivilités et l’odeur des pieds. En revanche, elle aime beaucoup Cthulhu, écouter de la musique en planant et profiter de son bol de Golden Grahams annuel à son anniversaire (le jour d’Halloween, ben tiens…).

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