À la lecture de ce roman, on comprend assez vite que le fantastique n’est qu’un prétexte à l’Humain. Le Trucmuche, c’est l’arbre qui cache la forêt, c’est l’assemblage humain qui en cache un autre bien plus vaste, celui de destinées humaines qui se croisent et s’interpénètrent.
Acherontia
Synopsis
Conte aussi fantasmagorique que réaliste situé dans l’Irak de l’après Saddam Hussein, Frankenstein à Bagdad a reçu le Prix international du roman arabe 2014. Dans le quartier de Batawin, à Bagdad, en ce printemps 2005, Hadi le chiffonnier récupère les fragments de corps abandonnés sur les lieux des attentats qui secouent la ville pour les coudre ensemble. Plus tard, il raconte à qui veut bien lui payer un verre qu’une âme errante a donné vie à cette mystérieuse créature, qui écume désormais les rues pour venger les innocents dont elle est constituée.
Le livre de poche
2017
448 pages
À conseiller…
- À tous les lecteurs qui ont envie de dépaysement, et surtout à celles et ceux qui se sentent de s’essayer à la littérature irakienne.
- Aux lecteurs les moins amateurs de fantastique, car ici les éléments fantastiques ne sont qu’un prétexte à la peinture d’une fresque politico-sociale particulièrement humaniste.
- Aux curieux dans tous les sens du terme.
À déconseiller…
- À un trop jeune public.
- Aux amateurs d’imaginaire pur et dur.
- Aux lecteurs qui recherchent une lecture facile, qui se lit toute seule.
Quelques mots à propos de l’auteur
Romancier irakien, Ahmed Saadawi a obtenu le Prix international du roman arabe (IPAF) pour Frankenstein à Bagdad. Ce «Booker Prize arabe», doté de 50 000 dollars (36 051 euros), couronne chaque année une œuvre littéraire dans le monde arabe.
Ahmed Saadawi a participé en 2012 au programme « Nadwa » de l’Ipaf, un atelier d’écriture pour jeunes auteurs « prometteurs ». Son livre a été choisi parmi 156 titres publiés dans 18 pays du monde arabe.
Il est aussi poète, scénariste et réalisateur de documentaires.
« Frankenstein à Bagdad » est un roman surréaliste d’un genre nouveau qui à travers la fiction et la fantasy, donne corps à une réalité.
Il vit et travaille à Bagdad.
Source : Babelio.com
La loi d’attraction universelle
J’ai déniché ce roman lors d’un de mes détours à la FNAC du coin. Je pensais au début opter pour un volume de la collection « Le mois du cuivre » de Bragelonne, mais il n’y avait plus rien de ce genre en rayon. J’ai donc craqué sur d’autres choses. Ici, c’est la mention « Prix de l’imaginaire 2017 » qui a su retenir mon attention. Je participe à un challenge pour lequel je dois lire des romans primés, or je n’en possède pas beaucoup dans ma PAL. C’était l’occasion de découvrir le gagnant 2017! Et puis je n’avais jusque là jamais lu d’auteur irakien. Aucun auteur d’Afrique du Nord, d’ailleurs… J’avais envie de découvrir autre chose que les habituels auteurs francophones et anglophones. Voilà qui est fait!
Puzzle humain
J’ai été assez bluffée par ce roman que j’aurais pensé moins atypique. Après tout, pour moi, ce n’était « qu’une » énième revisite du mythe de Frankenstein… Mais ici, l’auteur l’a jouée assez finement. D’une part, sa créature de Frankenstein est constitué de morceaux pour le moins inhabituels, et très en lien avec l’actualité, puisque ses membres et organes proviennent de victimes d’attentat, de bouts de cadavres trouvés ça et là dans les rues de Bagdad. Ici, on voit que le cimetière traditionnel dans lequel le Docteur puisait glisse vers un autre type de cimetière, celui qui est à ciel ouvert… On passe du réel à la métaphore en un seul clin d’œil.
Personnellement, j’ai beaucoup aimé le côté gore de certaines scènes. Cela n’étonnera d’ailleurs guère ceux qui me suivent régulièrement… Certaines pourraient même se retrouver dans ma Finest collection of gore scenes, c’est dire! Et, bien sûr, ce concept de prendre les cadavres trouvés dans les rues, c’est assez grandiose et terrible à la fois. Grandiose parce que l’idée même est excellente, terrible parce que c’est là la réalité des habitants de Bagdad. Il y avait un côté malsain et dérangeant dans cette collecte clandestine, parce qu’on sait pertinemment que ce n’est pas que de la fiction. Un piqûre de rappel ludique mais douloureuse…
Frankenstein, mais pas que…
D’une autre part, la créature, ici appelée le Trucmuche, se dote progressivement d’une intelligence et d’une volonté propre. Certes, il tue, il étripe, il démembre. Mais il le fait avec logique, puisqu’il cherche à venger celles et ceux dont il est en partie composé. Et, chose des plus étranges, ces morceaux tombent d’eux-mêmes une fois vengés. Il convient donc de les remplacer si le Trucmuche veut accomplir son oeuvre de vengeance jusqu’au bout… Mais les remplacer, cela signifie aussi tuer à nouveau, et tuer à nouveau signifie qu’il faudra encore venger… C’est toujours le serpent qui se mord la queue, sommes toutes.
Il est un passage qui m’a particulièrement marquée, c’est celui où le Trucmuche est interviewé par le journaliste. Je m’attendais à tout, sauf à ça! C’est particulièrement bien pensé, car pour une fois, on donne au lecteur de voir l’histoire du point de vue du monstre. Et le résultat est très étonnant… Je pense qu’au final, c’est encore ce qui m’a le plus bluffée. Voir ce « monstre » avoir une ligne de conduite, un fil de pensée, voire même une certaine philosophie, voilà qui a de quoi déranger. Qui est le monstre, finalement? Celui qui tue pour venger les âmes qui le composent, ou ceux qui ont ôté la vie à ces âmes? On voit le Trucmuche tantôt pris en chasse par les autorités, tantôt adulé par différents individus aux objectifs allant du tendre au tordu. Qui a raison et qui a tort?
Tendresse en morceau
À la lecture de ce roman, on comprend assez vite que le fantastique n’est qu’un prétexte à l’Humain. Le Trucmuche, c’est l’arbre qui cache la forêt, c’est l’assemblage humain qui en cache un autre bien plus vaste, celui de destinées humaines qui se croisent et s’interpénètrent. L’auteur se sert de sa revisite de Frankenstein comme d’un pinceau avec lequel il brosse une grande toile humaniste particulièrement réaliste et réussie. Tous les types d’hommes et de femmes se rencontrent, du plus malsain au plus attendrissant, du plus tordu au plus excentrique, mais toujours avec une justesse imparable. Celle qui m’a le plus touchée? Oum Daniel, très certainement, qui voit en le Trucmuche une réincarnation de son fils décédé à la guerre.
Ce que j’ai aimé, avec Ahmed Saadawi, c’est que l’on navigue sans cesse entre l’horreur et la misère d’un climat de guerre, et la tendresse, l’entraide, le courage des habitants de Bagdad qui tentent de survivre avec le peu de moyens qu’ils ont. Au final, on ne sait pas si on doit pleurer de tristesse face à leur condition, ou d’émotion devant la beauté de leurs sentiments et actions. Les deux, très probablement.
En résumé
Sur la blogosphère, certains en parle comme d’une claque. Je ne peux que confirmer leur ressenti. La revisite du mythe de Frankenstein est parfaite et très originale, c’est une chose. Mais l’auteur va beaucoup plus loin que ça, car c’est une grande fresque humaine terriblement réaliste et touchante qu’il nous propose. Une piqûre de rappel bien nécessaire pour nous mettre définitivement en tête que Bagdad en temps de guerre, ce n’est pas de la petite bière, et surtout que beaucoup trop de personnes sont frappées de plein fouet par les horreurs de la guerre alors qu’elles n’ont rien demandé de tout cela. Un bien beau message bizarrement emballé dans les putrides débris humains du Trucmuche…
D’autres avis éclairés
Vous l’avez compris, Frankenstein à Bagdad est une claque d’une beauté stupéfiante. Cet ouvrage peuplé d’êtres fascinants emporte très loin le lecteur par les faits qui lui sont contés et les multiples degrés de lecture qu’il propose. Une sacrée expérience qui marque et séduit à la fois. Tout simplement nécessaire.
Frankenstein à Bagdad est un roman coup de poing et coup de cœur à côté duquel j’ai bien failli passer et qui est pourtant incroyable. Je vous conseille vivement de vous y plonger vous aussi et de découvrir cette histoire atypique.
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