[Mois de l’imaginaire 2019] 10 octobre – Smog of Germania

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S’il existait un endroit à Germania où le soleil ne pénétrait jamais, alors Viktoria l’avait trouvé. Le smog était si épais qu’une nuit perpétuelle régnait au-dessus de ce quartier : Neukölln, point de convergence de plusieurs zones industrielles, où les fumées s’unissaient en un brouillard impénétrable. Viktoria n’y avait jamais mis les pieds auparavant et elle comprenait désormais pourquoi. Des rues sales, jonchées de détritus, une croûte de boue perpétuelle sur les pavés, des chiens errants faméliques rongeant les ordures aussi bien que des cadavres pourrissants, où les rares âmes errantes n’étaient qu’ombres furtives rasant les murs – et des rats, bruns, gris, noirs, partout, grouillant et couinant. Ces hideuses bestioles se savaient reines dans ces taudis, si bien qu’elles frôlaient les chaussures des intrus sans aucune peur de se faire écraser. Viktoria avait gémi lorsqu’une de ces horreurs était venue renifler ses bottines, mais un claquement sec de la langue de Jeremiah lui avait aussitôt fait comprendre qu’elle avait tout intérêt à garder le silence. Depuis, elle se maîtrisait tant bien que mal, s’efforçant d’ignorer l’environnement. Bien avant que le Kaiser ne se lance dans l’édification d’une ville démesurée, le secteur ne jouissait pas d’une bonne réputation ; il avait toujours renfermé des taudis, abrité nombre d’émigrés et de marginaux, servi de repaires aux crapules… La garde impériale n’y descendait que poussée par extrême nécessité et avec le temps, Neukölln s’était délabré davantage.

On les avait suivis. Au départ, Viktoria avait eu beau sonder les volutes noirâtres, elle n’avait vu personne. L’intense sentiment que des regards avides lui brûlaient la nuque, en revanche, avait crû jusqu’à ce que Jeremiah cligne de l’oeil, provoquant le tintement du grelot. Les curieux ou malintentionnés s’étaient aussitôt égayés. À bien y réfléchir, chaque individu assez téméraire pour s’aventurer jusqu’ici semblait incarner un repas inestimable pour la population malfamée du secteur… Pour finir, le trio s’engouffra dans une arrière-cour d’immeubles, descendit des marches et traversa les tunnels de caves, pour arriver devant une lourde porte munie d’un heurtoir en cuivre dont Jeremiah se servit sans hésitation.

Un homme en tablier de cuir à la carrure impressionnante et à la mine patibulaire couverte de sueur se découpa sur le seuil ; les muscles de ses épaules luisaient, des perles de transpiration s’écoulaient de sa barbe fournie. Des zébrures noires étaient tatouées sur ses bras, lui donnant des airs de bête sauvage.

Marianne Stern, in Smog of Germania. Éditions du Chat Noir, 2015.

N’oubliez pas de vous joindre à mon concours pour ce mois de l’imaginaire !

D’ailleurs, le cadavre exquis de ce roman donnerait ceci :

« Alors que je ne faisais rien de particulier, je suis allé récupérer Sangoku aux Enfers en lui agrippant les poils de nez, mais ça ne m’a pas servi à grand chose. »

Acherontia vous propose un chouette extrait du roman « Smog of Germania » de Marianne Stern

[Mois de l’imaginaire 2019] 9 octobre – Ce dont rêvent les ombres

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Une légère étole de brume enveloppait encore le pied des arbres. Les premiers rayons du soleil adoubaient l’existence de chaque feuille, éclairaient l’or des renoncules rendu plus vivace au voisinage des sapins, d’un vert presque noir. Les têtes brunes des champignons étincelaient au gré de la lumière changeante, comme ces perles cachées au fond de la mer et dont l’éclat fortuit trahit la retraite. À ces trésors révélés du sous-bois s’ajoutait la blancheur soudaine d’un brin de muguet cédant sous le poids de ses clochettes épanouies. Un gazouillis se fit entendre et de nid en nid, les rossignols, les pies et le pinson se répondirent, comme tout dans la nature unanime devise et s’entend.

Plus avant dans les hauteurs, lové au coeur de son indécelable refuge, un autre animal s’éveillait lentement. La fraîcheur du matin avivant la conscience du corps, Éponine ramena sur son épaule la fourrure odorante. Les ténèbres se dissipaient peu à peu sous ses paupières. Comme chaque jour, elle posa la main contre les branches robustes autour desquelles était construite sa cabane. Ce ne pouvait être qu’un chêne, ce pilier sur lequel tout repose, de la plus petite science à l’Inconnaissable qui régit l’essence de la vie. Elle se leva, ouvrit le volet, scruta l’épaisseur foisonnante des feuillages. Elle se sentait le témoin privilégié du commencement du monde.

Il lui était bon de retrouver la forêt. Pendant deux jours, elle n’avait contemplé de paysage que la pierre. Confinée dans un dolmen, elle avait fêté le retour de Beltan, la période la plus claire de l’année, comme tant d’autres avant elle, comme personne d’autre sans doute après elle. Elle crachait encore violemment les résidus des chandelles de suif, dont la fumée noire avait teinté le couloir de l’édifice.

Elle passa une longue robe, ficha la serpe dans le bâillement de sa ceinture tressée, peigna sa toison folle dont quelques cheveux tombèrent. Elle les ramassa et les posa sur une branche : avec la belle saison, les oiseaux en auraient besoin pour protéger leurs couvées. Enfin, elle fourra une des poches de sa besace du plantain guérisseur : elle ne manquerait certainement pas de se piquer aux orties qu’il fallait absolument cueillir ce matin.

Hilda Alonso, in Ce dont rêvent les ombres. Éditions du Chat Noir, 2016

N’oubliez pas de vous joindre à mon concours pour ce mois de l’imaginaire !

D’ailleurs, le cadavre exquis de ce roman donnerait ceci :

 » Alors que je pleurais à chaudes larmes, j’ai enfermé Jack l’Éventreur dans le placard à balais parce que j’avais besoin d’extérioriser ma colère, et ça s’est très mal terminé. « 

Acherontia vous propose un chouette extrait du roman de Hilda Alonso, « Ce dont rêvent les ombres »

[Rendez-vous littéraires] Top Ten Tuesday #54

Mes 10 romans de la rentrée littéraire hiver-printemps 2019

J’avoue ne pas avoir encore eu le temps de jeter un oeil aux prochaines parutions dans le domaine de l’imaginaire… C’est donc avec plaisir que je vais aller faire un tour du côté de mes maisons d’édition préférées !

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[Rendez-vous littéraires] Top Ten Tuesday #49

TopTenTuesday

Le Top Ten Tuesday est un rendez-vous hebdomadaire initié par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani puis par Frogzine. Et le thème de cette semaine est…

10 romans de la rentrée automnale qui me tentent

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[Chronique steampunk] The pink tea time club, de Cécile Guillot

Trop de choses, dans ce roman, restent en surface. Il n’y a pas grand chose qui permette au lecteur d’aller gratter sous la couche superficielle pour avoir accès aux parties immergées de l’iceberg. D’où la sensation d’être tombé sur un glaçon déjà passablement fondu, ou qui n’a pas encore eu le temps de se former. 

Acherontia

Synopsis

PinkTeaTimeClub_GuillotLottie est une jeune Londonienne bien sous tous rapports, même si elle préfère s’informer des dernières modes plutôt que d’apprendre les convenances d’une future femme à marier.
Cependant, lorsque des engeances monstrueuses sorties tout droit d’une dimension parallèle s’attaquent à elle au cours d’une promenade, la lady saute sur l’occasion de chambouler son quotidien.
Mise au parfum par Mr Rabbit, un jeune horloger garant de la fermeture de ces portails, Lottie décide de partir à l’aventure. Dans son empressement passionné, elle embrigade sa sœur et sa meilleure amie avec lesquelles elle forme désormais le Pink Tea Time Club. Un groupe de lecture, en apparences, où l’on parle monstres, créatures fantastiques, royaumes féériques et autres mondes. Pour la soif de découverte, pour sauver Londres mais surtout, pour passer le temps. 
En toute bienséance, cela va de soi…

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Throwback Thursday #14

Throwback Thursday #14

Le Throwback Thursday a été initié par BettieRose books sur son blog. Chaque jeudi, un nouveau thème est proposé. À moi de trouver un livre qui colle à ce thème et de vous en parler un peu.

Et cette semaine, le thème est…

Comme un air d’automne

Throwback Thursday #14
Throwback Thursday #14

Le carnaval aux corbeaux, d’Anthelme Hauchecorne

Ludwig grandit à Rabenheim, un petit bourg en apparence banal.
Claquemuré dans sa chambre, il s’adonne au spiritisme. À l’aide d’une radio cabossée, il lance des appels vers l’au-delà, en vue de contacter son père disparu.
Jusqu’à présent, nul ne lui a répondu… Avant ce curieux jour d’octobre.
Hasard ? Coïncidence ? La veille de la Toussaint, une inquiétante fête foraine s’installe en ville. Ses propriétaires, Alberich, le nabot bavard, et Fritz Frost, le géant gelé, en savent long au sujet du garçon. Des épreuves attendent Ludwig. Elles seront le prix à payer pour découvrir l’héritage de son père.
À la lisière du monde des esprits, l’adolescent hésite… Saura-t-il percer les mystères de l’Abracadabrantesque Carnaval ?

Throwback Thursday #14

Rien qu’à voir la couverture, vous avez déjà compris le pourquoi de mon choix, n’est-ce pas? Et s’il fallait vous convaincre davantage, lisez le résumé ^^

Certes, ce roman ne traite pas que de l’automne. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment l’automne dans sa globalité, mais plutôt la période de la Toussaint qui intéresse  particulièrement l’auteur. Et cela tombe bien, car la Toussaint, nous y sommes presque!

Je préfère vous prévenir tout de suite, si vous cherchez une agréable lecture d’automne, toute en charme et en romantisme, une lecture qui vous aidera à apprécier le soleil déclinant, les brumes matinales et les feuilles qui tombent… Surtout, passez votre chemin!! Ici, vous ne trouverez que citrouilles grimaçantes, corbeaux endiablés, fantômes évanescents et putrescence avancée.

Throwback Thursday #14

Mon « en bref » de l’époque…

Je suis désolée, chers lecteurs, si cette chronique fut longue. Une des plus longue écrite à ce jour, si je ne m’abuse (ou Mabuse, hu hu ^^). Désolée, aussi, de sombrer ici dans un pur style dithyrambique peut-être un peu trop poussé. Mais face à un tel roman, comment pouvais-je faire autrement?

Si j’avance en terrain connu dans cet univers sombre et atypique, il est un point qui à chaque fois me conquit. Le style d’écriture, bien entendu… Chaque mot, chaque phrase est un ravissement pour qui aime la belle littérature et le français manipulé avec brio. Selon l’auteur, « ce livre n’est qu’un entresort, qu’en magicien maladroit il aurait escamoté à la musique, nourriture de l’âme ». Eh bien, pour une fois, je ne suis pas d’accord…

Ce livre est un ovni littéraire écrit par un fou extraterrestre qui aurait colonisé les profondeurs de la Terre, y observant nos travers et les transcrivant à sa manière, dans des récits teintés par les contes et les légendes que nous oublions peu à peu.

Mais là, je commence à me dire que, décidément, l’écriture tardive ne me vaut rien et fait dérailler mon pauvre cerveau déjà fragile. Vous voulez un authentique résumé, en vérité? Lisez ce roman, vous ne serez pas déçu. Donnez-moi des nouvelles de votre lecture, je serais ravie de partager l’expérience avec vous ^^

Acherontia

Throwback Thursday #14