C’est tout ce que j’aime dans ce type de littérature, lorsque l’imaginaire devient symbole et se met au service de l’humain dans toute sa complexité.
Acherontia Nyx

L’Italie du XVe siècle : le règne des astrologues et des mages, de la commedia dell’arte, de Titien et Botticelli, de l’Arioste et de son Roland furieux.
De partout, ils sont venus à Labirinto, la Cité du Grand Labyrinthe, où chacun peut assouvir ses désirs secrets et se débarrasser des malédictions, des péchés, ou des douleurs secrètes qui le rongent.
Anna la créatrice de masques, Roberto son soupirant, Simonetta la prostituée, Rinaldo le mercenaire, Fabrizio l’acteur, Lorenzo l’avocat, Erminia, Mirabella, Zizola : tous s’embarquent pour un pèlerinage destiné à les purger de leurs maux dans les méandres du labyrinthe. Mais dans tout dédale qui se respecte, chacun risque de perdre son chemin… et son âme.

Bella Italia
J’ai sorti ce bouquin de ma PAL plus par curiosité que par réelle envie. Il faut dire qu’à la base, l’Italie n’est pas la destination qui m’attire le plus. Trop chaud, trop touristique à mon goût. En outre, je pense que j’en avais jusque là une mauvaise image, véhiculée principalement par les médias de loisirs – films, séries et consort. Mais bon, quand j’ai lu ce livre, un peu plus tôt dans cette merdique année 2020, les vacances de carnaval approchaient, et j’avais envie de quelque chose qui me mette dans l’ambiance. C’est curieux, pour quelqu’un qui n’apprécie pas le carnaval, mais parfois on se pique d’une idée sans trop savoir pourquoi. Les masques de la couverture, la promesse d’une histoire plongée dans l’Italie renaissante, mettant en scène une créatrice de masques et me parlant de commedia dell’arte, voilà exactement ce qu’il me fallait !
Force est de constater que ce roman m’a radicalement fait changer d’avis concernant la culture italienne. C’est toujours chaud et touristique mais… cette richesse culturelle, quoi ! L’auteur nous parle de l’époque de la Renaissance, de l’histoire du pays, de ses mœurs. Elle dépeint parfois les magnifiques paysages méditerranéens, mais aussi, et c’est un côté qui m’a beaucoup plu, elle nous parle en long et en large de la cuisine. Oubliez ce que vous pensez savoir de la cuisine italienne. Ne pensez pas aux spaghetti, aux pizzas ni aux ravioli. Ici, l’on vous parle des saveurs italiennes, de l’inventivité de leur cuisine, des textures, des odeurs, des façons de cuir et d’assaisonner. Vraiment, vous aurez l’eau à la bouche ! Après cette lecture, la première envie que j’ai eue, c’était de filer dans un bon resto italien. Ce roman est une promesse de voyage, d’évasion, de culture. Honnêtement, durant les premières semaines du confinement, ça m’a fait un bien fou !
Rythmique
En début de lecture, j’ai trouvé le rythme un peu lent. L’histoire prenait ses aises, l’auteur se plaisant à replacer chaque personnage dans son contexte, nous racontant leur parcours, leurs blessures, traçant déjà des prémisses de liens entre eux. J’avais hâte de voir leur progression dans le fameux labyrinthe, mais cette partie du récit tardait à venir. En fait, pour les curieux, elle n’arrive que vers la moitié du roman… Mais à tout bien réfléchir, cela n’a pas été si gênant à mon sens, car on se surprend à s’attacher aux protagonistes et au fil rouge de leur vie. Et finalement, cela permet de mieux comprendre tout ce qui va suivre au cœur du labyrinthe. Pour les plus impatients, donc, ne vous découragez pas, chaque chose vient en son temps. C’est un roman qui se déroule lentement, qui aime prendre son temps pour poser les bases de l’univers, de l’époque, des personnages. C’est un rythme voulu qu’il serait dommage de brusquer.
Quêtes initiatiques
Les thèmes abordés dans ce roman sont foisonnants, et ce n’est pas rien de le dire. L’on trouve un peu de tout : des thèmes généraux comme l’amour, sous bien des formes, l’amitié, parfois inopinée, la haine, la guérison, le repentir, l’expiation, la prostitution (brièvement évoquée). À côté de cela se rencontrent des thèmes plus spécifiques des littératures de l’imaginaire : le labyrinthe, les créatures légendaires (assez curieusement, celles de la mythologie grecque sont très représentées), la magie.
Commençons par la thématique dominante : celle de la quête initiatique. Chaque personnage se rend dans le labyrinthe à la recherche de quelque chose, la plupart du temps dans un but de développement personnel. Le chemin menant vers le labyrinthe n’est déjà pas de tout repos, mais la route à parcourir au sein de celui-ci est bien plus tortueuse encore. Elle dépend surtout de ce que chacun recherche. Comme mu par une volonté propre, le labyrinthe se charge de mettre sur la voie des personnages les épreuves nécessaires à l’accomplissement de leur quête. C’est un résumé à la grosse louche, mais l’essentiel est là. Imaginez le tout raconté de façon plus épique, plus symbolique, plus poétique, et vous avez un bon aperçu de ce qu’est ce roman. Le côté humain y est particulièrement mis en avant, avec une forte dimension psychologique. C’est tout ce que j’aime dans ce type de littérature, lorsque l’imaginaire devient symbole et se met au service de l’humain dans toute sa complexité.
J’ai notamment été très touchée par le côté hautement symbolique des masques, chacun représentant un personnage différent, avec ses qualités et (surtout) ses travers, un masque derrière lequel on peut, non pas se cacher, mais se réfugier afin de ne pas se sentir à nu lorsque l’on parle de soi. À plusieurs reprises, les héros du roman les utilisent afin de se raconter à cœur ouvert, car à travers le masque et le personnage qu’il incarne, ils peuvent parler par métaphore. Ce côté du roman était très beau, très poétique, d’une grande délicatesse.
Fraternités
Là où, au début, nous avons plutôt une sorte de roman chorale, avec différents personnages et différents destins bien séparés, au bout du compte, tout finit par s’entremêler. (Et là, j’entends Pippin qui chante « … et tout va se mêler… »). Forcément, les personnages se rencontrent, souvent dans des circonstances que l’on ne soupçonnerait pas. Naissent alors de nouvelles amitiés, souvent très fortes, des entraides de toute beauté, des relations qui se dénouent et se renouent, des amours aussi, toujours touchantes.
Ceci vient renforcer le côté très humain, très psychologique du récit, poussant cet aspect à son comble. On pourrait parfois verser dans le guimauve, dans la mièvrerie. Je l’ai craint à certains moments. Et pourtant, l’auteur parvient toujours à rester sur le fil, entre poésie et humanité, sans jamais sombrer dans la lave de la facilité.
En résumé
Une bien étonnante lecture que voici ! Moi qui voulait du dépaysement, j’ai été servie ! Une autre époque, un autre lieu, une autre culture… De la magie, des quêtes initiatiques, du mystère… De l’humain, du psychologique, du poétique… C’est un bon florilège de ce que vous trouverez entre ces pages. Pour une qui n’a jamais été fan de masques, de carnaval, de commedia dell’arte, et même d’Italie tout court, j’ai découvert tout ça sous un angle nouveau qui m’a beaucoup plu. Je recommande chaudement ce roman !
Ma note
Éditions FolioSF, 2001
Traduction de Monique Lebailly
Illustration d’Eric Scala
680 pages

À propos de l’auteur

Midori Snyder est une écrivaine américaine. Elle est l’auteur de plusieurs nouvelles, aussi bien pour enfants que pour adultes, ainsi que d’un roman de fantasy, « Les Innamorati : Le Labyrinthe des rêves », récompensé en 2001 par le « Mythopoeic Award » du meilleur roman.
Source : Babelio.com
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