[Chronique SF] Underground Airlines, de Ben H. Winters

Nous voici face à un page turner qui tient toutes ses promesses !

Acherontia Nyx

Synopsis

Amérique. De nos jours. Ou presque.

Ils sont quatre. Quatre États du Sud des États-Unis à ne pas avoir aboli l’esclavage et à vivre sur l’exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l’Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s’ils parviennent à échapper aux chasseurs d’âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frères et sœurs en fuite. Le cas de Jackdaw n’était qu’une affaire de plus… mais elle va mettre au jour un terrible secret que le gouvernement tente à tout prix de protéger.

Un roman d’une brûlante actualité qui explore sous le faisceau de l’uchronie une Amérique bien trop familière…

La loi d’attraction universelle

D’habitude, je ne suis guère versée dans les romans que je pressens trop « militarisés », c’est-à-dire qui rappellent la guerre, l’armée, où il est question de gouvernement, de courses-poursuites, de pan-pan à tout va, de grandes actions héroïques sous le feu des balles, ou de traîtrises dans l’ombre de la politique. Ici, je n’étais déjà pas très emballée par la couverture, trop moderne et épurée à mon goût, même si je comprends ce qu’elle est censée évoquer. Le résumé me parlait d’esclavage, de traque, de secrets gouvernementaux, et je n’étais pas plus interpellée que ça.

Qu’est-ce qui m’a attirée vers cette lecture, alors ? Cela tient en un simple morceau de phrase : « sous le faisceau de l’uchronie ». Parlez-moi d’uchronie, et mon cœur chavire littéralement ! Pour l’instant, je suis plongée dans la série TV « The man in the high castle », adaptation du roman « Le maître du haut château » de Philip K. Dick, et cela me passionne ! Alors oui, je suis consciente que se proclamer peu friande des romans « militarisés » et finir par regarder ou lire de l’uchronie de guerre, cela peu sembler ridicule, mais… je suis un être de contradiction ! Surtout, j’aime à garder mon esprit ouvert à toute possibilité de faire des découvertes culturelles intéressantes.

Alors, est-ce que mon écart dans ma méthodologie en valait la peine ? Réponse dans cet article…

Il était une fois l’Amérique

Lorsque l’on me parle d’uchronie, j’apprécie de savoir vers où je vais. Autrement dit, il me faut savoir deux choses : à quelle période se situe le récit, et à partir de quel moment de l’Histoire cela a commencé à « glisser » (entendez par là, le moment où l’on s’éloigne de l’Histoire réelle pour dévier sur une sorte de temps parallèle).

Dans ce roman, on devine que l’on s’éloigne de l’Histoire à partir du vote du Treizième Amendement de la Constitution des États-Unis abolissant l’esclavage. Normalement, tous les États ont voté cet amendement. Or ici, l’on nous dit que quatre États, appelés dès lors les « Hard Four », ont refusé de le voter. Nous tenons là la petite secousse qui nous permet de passer du cours historique normal au chemin de traverse proposé par l’auteur. Et si… Et si l’esclavage n’avait pas été aboli partout, que se serait-il passé ? Comment les États abolitionnistes pourraient-ils venir en aide aux esclaves encore maltraités dans les États réfractaires ? Et si, en plus, quelque part au gouvernement, on nous cachait des choses ? Des faits terribles de traite humaine, de maltraitance, de déni de l’humanité des esclaves ? Et s’il y avait pire encore que tout cela ?

Voilà, vous avez capté l’essentiel du roman ! L’uchronie est subtilement et habilement mise en place, avec dates précises, faits marquants, rappels « historiques » fréquents… Du très beau travail d’écrivain, d’ailleurs ! On sent Ben Winters très investi dans son récit, très friand de détails, de précision, et très féru d’Histoire aussi. Personnellement, la seule chose qui m’a gênée, en début de roman, c’était surtout le fait que je ne parvenais pas à savoir de quelle époque on me parlait. Cela semblait se passer au 20e siècle, pour sûr, et j’en veux pour preuve les automobiles, les téléphones, les puces implantées à la base de la nuque, certaines autres technologies (pas trop avancées pour que l’on soit au 21e siècle, mais assez que pour avoir dépassé le 19e)… Mais rien d’assez précis pour dire de situer le récit à une époque donnée, même pas la décennie. J’ai trouvé cela dommage, car c’est la seule imprécision que l’on trouve dans ce roman, et elle est pourtant de taille. Ou suis-je alors passée complètement à côté de l’info ?

L’esclavage en héritage

Personnellement, j’ai vraiment accroché avec la façon dont l’esclavage était traité dans ce roman. À nouveau, l’on sent que l’auteur s’est beaucoup documenté sur le sujet, qu’il y est rentré en profondeur, et que cela lui tient à cœur. Le message est clair : « PLUS JAMAIS ÇA ! », claironne l’auteur. Et je peux vous assurer que le message passe bien, très bien même !

Ceci étant, ne vous attendez pas non plus à une suite de scènes affreuses et humainement insoutenables. Certes, il y en a quelques unes, et c’est pratiquement une obligation lorsque l’on traite d’un sujet comme celui-là, mais elles ne sont pas légion non plus. Je ne pense d’ailleurs pas que ce soit le but recherché, l’auteur ne visant pas à donner dans la sensation, mais plus dans la sensibilisation. Et c’est justement pour cela que j’ai aimé la façon dont l’esclavage est ici traité, car il n’y a pas de surenchère.

Après, je pense qu’il est bon de rappeler que l’on est dans une version uchronique de l’esclavage tel qu’on le connaît, c’est-à-dire que certains éléments dévient de ce que fut l’esclavage aux États-Unis . Ces éléments viennent appuyer l’intrigue, mais pas seulement. Ils servent aussi de pierre angulaire au message que l’auteur souhaite faire passer au lecteur. Que ce soit la traque des esclaves en fuite effectuée par les US Marshalls, le fait que ce soit d’anciens esclaves qui soient obligés de faire cette traque sous la menace, que ce soit la nécessité d’un recours à un dispositif clandestin comme l’Underground Airlines pour faire sortir les esclaves en douce des Hard Four… jusqu’au secret d’état découvert par Victor, le héros du roman, chaque élément de fiction vient marteler la même rengaine dans la tête du lecteur… Plus jamais ça !

Je vous parlais plus haut de déni du droit à être un homme. C’est un concept qui me touche toujours très fort. La première fois que je m’y suis confrontée, c’était il y a bien longtemps lorsque l’on m’a appris, au cours d’histoire, l’existence des camps de la mort nazis. J’ai cru halluciner. Mais non, bien malheureusement, ces horreurs font partie de notre histoire commune. Le fait de se donner le droit de vie et de mort sur ses semblables est déjà, en soi, extrêmement choquant. Mais se donner le droit de décider que l’être en face de soi ne doit pas être considéré comme un homme, voilà qui dépasse l’entendement. Ici, avec ce roman, j’ai envie de dire que l’auteur va plus loin encore dans l’horreur et l’inhumanité. Je ne peux pas vous en dire plus car ce serait dévoiler le grand final prévu par l’auteur. Ce serait vraiment très dommage de vous gâcher le plaisir de la découverte. Sachez juste que la finale de ce roman vaut le coup du suspens et de l’attente…

Victor comme victoire ?

Pour ma part, j’ai été touchée par le personnage central de l’histoire, Victor. Loin des clichés du superhéros américain sans peur et sans reproche, au physique parfait, aux cheveux gominés façon casque de Playmobil avec petit slip par-dessus des collants qui auraient mérité qu’on ne les lave pas au-delà de 40°, notre brave Victor est un homme plutôt secret et tourmenté qui s’invente différentes identités en fonction des besoins de ses enquêtes. Victor est Noir de surcroît, évoluant dans un monde de Blancs où l’on voit aux mentalités que les affres de l’esclavage ont laissé leur lot de cicatrices. Plus encore, il est chasseur d’esclaves en cavale pour le compte des US Marshalls. Peu confortable, comme situation, pour un ancien esclave, vous en conviendrez. Pourtant, Victor s’acquitte de sa tâche quotidiennement et avec minutie. Pas par plaisir, vous vous en doutez, mais plutôt sous le joug de la menace. Au fur et à mesure qu’on apprend à le connaître, par flashbacks réguliers vers son passé, on commence à comprendre ses souffrances, ses peurs, son écartèlement entre ses valeurs et ce qu’il est obligé d’accomplir chaque jour. On en arrive à être plus qu’indulgents face à son caractère secret et à son double-jeu.

Puis un jour, la carapace de Victor se fissure. Cela commence par une rencontre fortuite dans un hôtel avec une jeune femme Blanche et son fils, Noir quant à lui. Progressivement, de croisements en services rendus, des liens se nouent entre eux, et Victor n’a d’autre choix que de laisser tomber les armes. Je ne peux pas vraiment en dire plus quant à leur relation, j’ai déjà le sentiment d’en avoir trop dit. En tout cas, je vous promets que ces trois-là sauront vous attendrir !

Une question de légitimité

Après la lecture de ce roman, je suis allée un peu fureter sur le web à la recherche d’informations supplémentaires, notamment concernant l’auteur, Ben Winters. J’ai trouvé quelques personnes plus « négatives » à son encontre. Rien à voir avec sa façon d’écrire ou sa façon de traiter son sujet. Non, il s’agit juste d’un problème… de couleur. En effet, Ben H. Winters est Blanc. Or, il traite de problèmes de Noirs.

Quoi qu’il en soit, que l’auteur soit Blanc ou Noir, je trouve qu’il s’en tire à merveille dans la description des (més)aventures de Victor dans une Amérique où les Noirs sont encore trop souvent victimes de racisme (cela ne diffère guère de notre époque, d’ailleurs). Je ne suis pas Noire moi-même, donc forcément, je suis incapable de dire si l’auteur parvient à se mettre complètement à la place de la communauté Noire ou non, mais de mon point de vue, j’ai trouvé cela plutôt très réussi. Certes, c’était un pari risqué, il fallait de sacrées cojones pour se lancer dans pareille gageure, mais je pense que l’auteur n’en a que plus de mérite. Et vous, chers lecteurs, qu’en avez-vous pensé ?

En résumé

Nous voici face à un page turner qui tient toutes ses promesses ! L’uchronie est réussie, à un poil près, le suspens est haletant, le sujet est d’une brûlante actualité puisqu’il fait écho à la façon dont les Noirs sont considérés aux States, l’intrigue est construite de main de maître, les personnages, loin d’être conventionnels, sont intelligemment construits et sont attachants… Alors, que demander de plus ? Petite note positive supplémentaire, j’ai beaucoup aimé le mélange SF uchronique/actualité politique !

Ma note

17/20

À propos de l’auteur

Nationalité : États-Unis
Né(e) à : Potomac, Maryland , le 14/06/1976
Biographie :

Ben H. Winters est un romancier, poète et dramaturge américain, auteur de roman policier, de science-fiction et de littérature d’enfance et de jeunesse.

Il est diplômé de l’Université Washington à St. Louis, Missouri, (1998) où il faisait partie de la troupe comique « Mama’s Roast Pot ».

Il est surtout connu pour son roman parodique « Sense and sensibility and sea monsters » (2009) , qui a rejoint la liste des best sellers du New York Times en septembre 2009.

Son deuxième roman parodique, « Android Karenina » (Quirk Books), a été publié en juin 2010. Il a également écrit un roman pour jeunes adultes, « La vie secrète de Mme Finkleman », publié par HarperCollins en Septembre 2010.

Il est aussi l’auteur de nombreux livres de la série « Worst Case Scenario ».

En 2012, il publie « Dernier meurtre avant la fin du monde » (The Last Policeman) pour lequel il est lauréat du prix Edgar-Allan-Poe 2013 du meilleur livre de poche original. C’est le premier volume d’une trilogie consacrée à Hank Palace, un détective de la police de Concord dans le New Hampshire, ville sous la menace d’une collision imminente avec un astéroïde.

En 2013, il fait paraître le deuxième volume de cette série, « J-77 » (Countdown City) avec lequel il remporte le prix Philip K. Dick 2013. « Impact » (World of Trouble, 2014) est le troisième tome.

Il est également le librettiste de Slut (2005), une comédie musicale présentée Off-Broadway.

Les travaux de Winters pour le théâtre comptent notamment des pièces pour enfants comme : « The Midnight Ride of Paul Revere », « Uncle Pirate », « A (Tooth) Fairy Tale » …

Il vit à Indianapolis en Indiana avec sa femme et leurs trois enfants.

Site officiel: http://benhwinters.com/

Source : Babelio.com

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