
Une légère étole de brume enveloppait encore le pied des arbres. Les premiers rayons du soleil adoubaient l’existence de chaque feuille, éclairaient l’or des renoncules rendu plus vivace au voisinage des sapins, d’un vert presque noir. Les têtes brunes des champignons étincelaient au gré de la lumière changeante, comme ces perles cachées au fond de la mer et dont l’éclat fortuit trahit la retraite. À ces trésors révélés du sous-bois s’ajoutait la blancheur soudaine d’un brin de muguet cédant sous le poids de ses clochettes épanouies. Un gazouillis se fit entendre et de nid en nid, les rossignols, les pies et le pinson se répondirent, comme tout dans la nature unanime devise et s’entend.
Plus avant dans les hauteurs, lové au coeur de son indécelable refuge, un autre animal s’éveillait lentement. La fraîcheur du matin avivant la conscience du corps, Éponine ramena sur son épaule la fourrure odorante. Les ténèbres se dissipaient peu à peu sous ses paupières. Comme chaque jour, elle posa la main contre les branches robustes autour desquelles était construite sa cabane. Ce ne pouvait être qu’un chêne, ce pilier sur lequel tout repose, de la plus petite science à l’Inconnaissable qui régit l’essence de la vie. Elle se leva, ouvrit le volet, scruta l’épaisseur foisonnante des feuillages. Elle se sentait le témoin privilégié du commencement du monde.
Il lui était bon de retrouver la forêt. Pendant deux jours, elle n’avait contemplé de paysage que la pierre. Confinée dans un dolmen, elle avait fêté le retour de Beltan, la période la plus claire de l’année, comme tant d’autres avant elle, comme personne d’autre sans doute après elle. Elle crachait encore violemment les résidus des chandelles de suif, dont la fumée noire avait teinté le couloir de l’édifice.
Elle passa une longue robe, ficha la serpe dans le bâillement de sa ceinture tressée, peigna sa toison folle dont quelques cheveux tombèrent. Elle les ramassa et les posa sur une branche : avec la belle saison, les oiseaux en auraient besoin pour protéger leurs couvées. Enfin, elle fourra une des poches de sa besace du plantain guérisseur : elle ne manquerait certainement pas de se piquer aux orties qu’il fallait absolument cueillir ce matin.
Hilda Alonso, in Ce dont rêvent les ombres. Éditions du Chat Noir, 2016
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D’ailleurs, le cadavre exquis de ce roman donnerait ceci :
» Alors que je pleurais à chaudes larmes, j’ai enfermé Jack l’Éventreur dans le placard à balais parce que j’avais besoin d’extérioriser ma colère, et ça s’est très mal terminé. «
Acherontia vous propose un chouette extrait du roman de Hilda Alonso, « Ce dont rêvent les ombres »
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