Le monde de l'art, c'est un peu comme celui des rêves. Lorsque nous y entrons, nous allons d'inspirations nébuleuses en fantasmes malsains, de beauté ultime en violence extrême…

Bordeaux, place de la Bourse, une œuvre d’art intrigue les passants. Le meurtre atroce qu’elle dissimule annonce une psychose sans précédent. Dans son atelier parisien, Damian Leisenberg subit les assauts de visions persistantes, des scènes macabres laissant présager le pire. Le controversé Capitaine Bonhoure se lance sur la piste d’un tueur en série pour le moins créatif, mais face à la complexité de l’enquête, ses dons de criminologue ne seront rien sans les avis éclairés du Lieutenant Torrès. Du port de la lune à Paris, le duo d’enquêteurs, impuissant, assiste au décompte des victimes. Dans la lignée de Seven, un thriller psychologique qui changera à jamais votre regard sur l’Art.
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Acherontia's chronicles – Sublimation
…Ce roman n'est pas à mettre entre toutes les mains!
Certaines scènes violentes, voire gores, pourraient mettre mal à l'aise certains lecteurs plus sensibles.
Il n'y a pas si longtemps, je n'avais encore jamais entendu parler de Bastien Pantalé, ni de ses romans autoédités. Le hasard faisant souvent bien les choses, l'auteur, qui est probablement tombé par hasard sur mon blog, m'a proposé de chroniquer un de ses romans, au choix. Il y avait un roman plutôt SF qui me tentait bien aussi, mais j'ai finalement jeté mon dévolu sur ce roman, Sublimation. J'étais en effet intriguée par le résumé et curieuse de voir comment l'auteur allait mêler art et crimes.
Après lecture, je me dis que mon choix fut bon, même si j'ai encore envie de m'essayer à la SF de l'auteur.
Le première chose qui m'a permis d'accrocher à l'histoire, c'est le style d'écriture de l'auteur, qui allie fluidité et rythme, avec un soupçon de poésie quand cela est nécessaire. Certes, tout n'est pas parfait, mais pour un roman autoédité, on est déjà sur un travail de très bonne qualité, et l'on sent tout le potentiel d'écriture qui se cache derrière ces 365 pages.
Personnellement, j'aurais appuyer un peu plus sur certaines descriptions, les retravailler pour rendre l'ambiance plus glauque et malsaine encore. Mais c'est juste une question de point de vue.
Il tourna la tête dans toutes les directions, tentant de distinguer une forme reconnaissable. Rien, trop de lumière. Le silence fut de courte durée. Il lui sembla distinguer des bruits de pas, d’outils… puis un gémissement, long, saisissant. Le son lui parvint étouffé, comme entravé par un bâillon. À nouveau le silence. Puis encore un cri de douleur. Entre les plaintes de cet humain qu’il ne pouvait pas voir, Charles distingua des sons encore plus dérangeants, plus organiques. Quelque chose d’extrêmement perturbant le fit tressaillir, un mélange entre le bruit d’un tissu que l’on déchire et un grincement vibrant dans l’air. Un goutte-à-goutte, puis l’écoulement d’un liquide épais, et encore des cris. C’était des chairs que l’on malmenait, le corps d’un homme ou d’une femme subissait les pires sévices. Quelqu’un souffrait à quelques mètres de lui, agonisait entre les mains d’un inconnu, et il n’était même pas capable de se relever. Le son horrifiant d’un os qui se rompt le saisit en pleine poitrine et lui arracha un cri de frayeur. Il ne pleurait plus seulement à cause de la lumière à présent. Pourtant, Charles Girard n’était pas homme à s’émouvoir facilement. L’odeur de la peur, l’odeur de la mort l’atteignit pour la première fois.
Une des grandes forces du roman, ce sont ses personnages ; ils sont terriblement réalistes, humains et, pour ma part, très attachants.
Manoa, l'enquêteur en charge du dossier dont il est question dans le roman, n'est pas juste là en figure de détective fade et sans volume. L'auteur s'est attaché à lui donner un background historique fourni, ainsi qu'une histoire personnelle touchante qui prend parfois le pas sur l'enquête elle-même. Sa relation avec Zina, une jeune femme russe et ex-prostituée. Sa relation même avec l'enfant de Zina, qu'il protège comme s'il s'agissait du sien. Et sa folle lutte pour délivrer sa bien-aimée des griffes de son ancien maque.
Quant à sa coéquipière improvisée, Aurora, on en sait moins sur son compte, mais elle s'impose par son caractère et sa présence comme un des personnages phares de l'histoire.
Les deux forment un duo de choc qu'il est plaisant de suivre au fil du récit. Chacun a ses qualités et ses défauts, sa sensibilité et son bagage personnel ; le tout mis ensemble leur permet d'appréhender au mieux l'enquête et de trouver des solutions auxquelles personne n'aurait pensé.
Manoa et Aurora, chacun de leur côté, laissaient germer les idées les plus fantasques dans leurs cerveaux particulièrement irrigués par les évènements de ces derniers jours. En enquêteur expérimenté, Bonhoure savait très bien qu’il n’aurait aucune certitude tant qu’il ne se serait pas assis de l’autre côté de la table, tant qu’il ne serait pas allé au fond des choses. Se retrouver face à ce type, plonger son regard dans le sien, et le confronter aux photos et à ce que furent ses victimes de leur vivant… Alors, et seulement alors, il pourrait se faire une idée. Et encore, peut-être que son interrogatoire ne ferait que renforcer ses doutes. Pour l’heure, ça ne tenait pas debout. Ses doigts tapaient nerveusement la poignée intérieure du véhicule ; ils y étaient presque.
Il y a aussi Damian, l'artiste, qui est amené à se poser des questions sur lui-même, sur ces rêves étranges qui le réveillent en sursaut durant la nuit, à ces indices qui divergent vers lui, le liant irrémédiablement à l'enquête en cours. Sa petite amie Liya, qui est également son modèle, serait-elle en danger?
Le monde de l'art, c'est un peu comme celui des rêves. Lorsque nous y entrons, nous allons d'inspirations nébuleuses en fantasmes malsains, de beauté ultime en violence extrême… Tous ces aspects semblent opposés, et pourtant tout se rejoint, au sein même du concept d'art. Dès lors, de tout ce qui constitue nos balises, le bien mal, le beau, le laid, l'ordre et le chaos, plus rien de tout cela n'existe vraiment. Cette réalité se reflète jusque dans le chef du tueur de ce roman, appelé "Le sculpteur". Il croit faire le beau, pourtant il montre ce que l'humain porte de pire en lui : la mort. Il croit faire le bien, mais cette notion est-elle la même pour tout le monde? Il croit travailler dans l'ordre, mais il sème le chaos derrière lui.
Dans quel but le Sculpteur officie-t-il? Cherche-t-il seulement à corriger les torts de la société en supprimant celles et ceux qu'il considère comme nuisibles, ou y a-t-il un dessein plus profond et plus sombre encore?
Voici un autre point fort de ce roman, au travers duquel l'auteur nous propose de nombreuses réflexions au sujet de l'art. De tous les thrillers que j'ai pu lire, peu au final traitent de l'art de cette façon. C'était original et bien amené, et j'ai donc eu plaisir à découvrir la façon dont cette thématique était traitée. Oui, au final, pour ce point précis, le roman m'a un peu rappelé le film Seven… Surtout dans la façon dont les meurtres sont amenés.
Le sculpteur ne vit dans ses larmes qu’une expression de la beauté créatrice, l’émotion de se voir prendre forme sans doute. Il donna d’abord leurs positions aux bras et aux jambes, profitant de la température élevée du métal pour obtenir la forme souhaitée. De toutes ses forces, il plia, tourna et écarta, sentant les os grincer, le cuir tirer et se déchirer par endroits ; il façonna le squelette de son œuvre. Pour la tête, la manœuvre fut plus délicate : il fit d’abord pénétrer la tige sous la clavicule, suffisamment en profondeur, pour ensuite la faire remonter et la planter sous la mâchoire. Enfin un port de tête gracieux !
Une chose qui m'a un peu gênée, en revanche, ce sont tous ces termes "à la française" qui pullulent tout au long du texte. Une grande partie du roman se situe dans le milieu judiciaire français, d'où la surabondance de termes spécifiques, et surtout, d'acronymes comme nos amis savent les pondre. OCBC, ENSP, FNAEG, et j'en passe… Personnellement, je m'y suis complètement perdue. Surtout qu'étant belge, les noms ne sont pas du tout pareils chez nous. Certes, quelques termes étaient expliqués et définis dans les notes, mais ces notes n'arrivent qu'en toute fin de roman, et jusqu'à preuve du contraire, ma liseuse ne me permet pas de cliquer sur la note, puis de revenir en arrière, à la bonne page. Alors, plutôt que de risquer de perdre ma page, j'ai préféré rester dans mon ignorance et faire abstraction de mon incompréhension. Après tout, et je vous rassure sur ce point, le roman se comprend très bien sans nécessairement comprendre tous les termes spécifiques à la PJ…
— T’es aux Biens Culturels depuis longtemps ?
— Ça va faire trois ans. Après une licence en Histoire de l’Art, j’ai validé un Master en Droit des Affaires, spécialité Marché de l’Art, puis j’ai intégré l’ENSP7 de Saint-Cyr.
— Excusez-moi du peu ! taquina Manoa avec un accent mondain qui extirpa un petit rire nerveux à la jeune femme.
— Tu ne crois pas si bien dire. Mon père est l’ancien ambassadeur du Venezuela à Paris.
— Oh, mais on m’envoie du beau monde dites-moi !
— Arrête ! J’ai toujours voulu défendre le patrimoine culturel français – je suis Française par ma mère –, et à l’OCBC, j’ai trouvé comment me rendre utile.
Donc, dans l'ensemble, le roman se laisse lire de très agréable façon. Un point, toutefois, m'a vraiment laissée sur ma faim, et non des moindres, puisque c'est de la chute qu'il s'agit. L'identité du fameux Sculpteur et le lien que le relie à Damian.
J'ai un peu de mal à comprendre tout le mystère que l'auteur fait autour de ce lien, tellement cela saute aux yeux, et ce dès le début du roman. Moi, je m'étais dit que peut-être l'auteur nous mettait sur une fausse piste exprès, pour mieux nous retourner comme un gant en fin de roman. Eeeeeh non! Lecteurs, si comme moi vous avez eu la prescience de cette chose que l'auteur cherche absolument à cacher, apprêtez-vous à être déçu dans les derniers chapitres. Car vous aurez découvert le pot aux roses bien trop tôt, et comme moi, vous serez sans doute déçu du manque d'originalité de la chose.
En se glissant dans le jardin qui aurait très bien pu le voir grandir, le colosse pensait aux traits qu’il donnerait à sa prochaine œuvre, au masque surtout, qu’il sculpterait lui-même, l’expression qu’il souhaitait lui donner revêtait trop de sens pour qu’il se contente d’un objet déjà formé ; le couteau, lui, porterait son propre sang. Quelle douceur d’imaginer ce salaud disparaître sous la pâleur purificatrice du plâtre !
Le fragile grillage plia sous le poids du rôdeur, et la haie hétéroclite qu’on avait oublié d’entretenir le dissimula presque jusqu’à la terrasse. Étrange de constater qu’un si bref passage en ces lieux puisse lui laisser autant de souvenirs ; rien n’avait vraiment changé, le jardin et la maison semblaient encore plus ternes sous la lumière ténue de la lune, et la même odeur de bois pourri agressait ses narines. Il l’avait pourtant aimée cette fragrance, ce parfum de nature qui lui évoquait jadis la forêt profonde ; jusqu’à ce qu’on le place dans cette famille d’accueil, son ultime chance de connaître une vie “normale”. Préadolescent, il avait posé les choses, s’était concerté avec ses multiples démons, et était prêt à faire un effort. Il cacherait tous ses vices et ses penchants macabres aux yeux du monde, serait plus lisse qu’un lac inerte, si cela pouvait lui apporter la sécurité et la stabilité d’un foyer. Oui, il était prêt à se faire violence, à garder tout cela pour lui seul, quitte à mentir à la terre entière, à commettre ses forfaits en douce. Il accepterait d’être un jeune homme irréprochable.
Pour résumer ce que j'ai pensé de cette lecture, qui fut très agréable en de nombreux points, je dirais surtout que, malgré l'écriture fluide et rythmée, les personnages attachants et le sympathique lien des meurtres avec l'art, certaines petites choses peuvent être encore améliorées. Certaines longueurs, notamment, qui pourraient être abrégées. De trop nombreux termes spécifiques à la PJ, abrégés en acronymes incompréhensibles pour qui n'est pas français et au fait de l'univers judiciaire. Ils sont expliqués en note, mais en fin de roman, c'est qui est, pour le dire platement, emmerdant, parce que cela freine la lecture.
Donc oui, j'ai apprécié ma lecture dans l'ensemble, mais j'ai été cruellement déçue par la fin, et par l'explication de ce lien qui unit le meurtrier à Damian, l'artiste. Beaucoup trop téléphoné à mon goût… Je m'en suis doutée dès les premiers chapitres, et j'attendais de l'auteur qu'il me surprenne en proposant un lien tout autre. Voilà pour le bémol…
Mais d'une façon générale, c'était tout de même un bon roman, qui procurera les frissons nécessaires aux amateurs du genre.

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Lu dans le cadre du Défi lecture 2017…
n°51. Un livre qui se déroule dans le milieu artistique