Joe Abercrombie m'a une fois de plus bluffée avec ses personnages à la psychologie complexe et son histoire tellement humaine qu'elle en devient presque réelle malgré le fait que ce soit un univers de fantasy.
Synopsis…
Farouche Sud aurait aimé oublier son passé une fois pour toutes.
Mais lorsque son frère et sa sœur sont enlevés et sa ferme réduite en cendres par une bande de hors-la-loi, il est temps pour elle de reprendre ses anciennes habitudes. En compagnie du vieux Nordique qui l’a adoptée, un homme lui aussi marqué par ses démons, Farouche entame un long voyage à travers les plaines désertiques. Un voyage qui les emmène jusqu’aux bas-fonds d’une ville cauchemardesque, frappée par la ruée vers l’or, puis dans les montages inexplorées, qu’on dit hantées. Sur leur chemin, règlements de compte, alliances douteuses et trahisons amères se succèdent à la vitesse d’une flèche de barbare.
Car même lorsqu’on croit avoir tout perdu, au Pays Lointain le passé ne reste jamais enterré…
La loi d'attraction universelle…
Ce roman est mon second roman lu dans le cadre de mon partenariat avec les éditions Bragelonne/Milady pour septembre 2016. Je remercie donc très chaleureusement les éditions Bragelonne pour ce partenariat et la découverte de ce livre.
Si j'ai choisi ce roman en particulier, c'est parce que j'ai déjà eu l'occasion de lire un roman de l'auteur qui m'avait beaucoup plu. Il s'agissait de Servir froid. Je suppose que certains d'entre vous connaissent ^^
Ce qui m'a fait plaisir, dans ce nouveau roman d'Abercrombie, c'est que j'ai pu retrouver certains personnages de Servir froid, notamment Cosca et Temple. Placide aussi est évoqué dans Servir froid. Comme quoi, c'est bien la preuve que l'auteur nous livre un univers complet, complexe, avec de la suite dans les idées!
Un terrible coup du sort…
Le temps des toutes premières pages, tout paraît paisible, presque joyeux malgré la pauvreté qui se fait sentir en filigrane de l'écriture. Mais très vite, tout bascule pour les deux héros, Farouche et Placide. Le lecteur n'a même pas le temps de s'attacher à eux, d'apprendre à les connaître, que crac!, il leur arrive malheur.
Meurtres sauvages, enlèvements révoltants, saccages à tout va… Le menu arrive très rapidement sur la table et s'annonce copieux en plats corsés! Le lecteur est directement placé au coeur de l'action, ce qui n'est pas pour me déplaire. On se retrouve happé par la recherche désespérée des enfants, enlevés par des mercenaires sanguinaires, assoiffés d'argent et de violence. On compatit de tout coeur à la douleur des héros, et on s'émerveille devant leur courage à faire face à l'adversité.
Petit plus : j'ai trouvé remarquable la façon dont est traitée la douleur des personnages face au saccage de leur maison et la perte de leurs proches. L'auteur se montre souvent très juste dans la description des sentiments et des actions qui en découlent. Sans faire des phrases à rallonges, il dépeint avec des mots adroitement choisis ce que ressentent Farouche, Placide, et toutes les autres victimes des mercenaires. Pour cela, chapeau bas, l'ami!
Elle atteignit la cour – ce qui avait été leur cour – et s'immobilisa, perdue. La maison n'était que poutres brûlées et détritus. Seule la souche de cheminée tenait encore debout. Pas de fumée. La pluie avait dû éteindre les feux un jour ou deux auparavant. Mais tout était calciné. Le souffle court, elle contourna les ruines noircies de la grange.
On avait pendu Gully à l'arbre du fond. Au-dessus de la tombe de sa mère, dont la stèle avait été renversée. Il était transpercé de flèches. Au moins une dizaine.
Farouche avait l'impression d'avoir reçu un coup de pied dans le ventre. Penchée en avant, les bras serrés contre sa poitrine, elle gémit. L'arbre gémit de concert, agité par le vent, et le cadavre de Gully se mit à tanguer doucement. Le pauvre vieux fou. Tandis qu'ils s'éloignaient en charrette, il avait assuré à Farouche qu'il veillerait sur les enfants. Elle avait ri avant de rétorquer que les enfants veilleraient plutôt sur lui. À présent, aveuglée par les larmes et le vent cinglant, blottie dans ses propres bras, elle se sentait si froide que rien ne semblait pouvoir jamais la réchauffer.
Une héroïne en béton…
Tous les personnages de ce roman sont intéressants à leur manière, mais il en est un qui a retenu toute mon attention. Il s'agit de Farouche, bien sûr, le personnage central de l'histoire. Une jeune femme dont le caractère bien trempé cache une sensibilité, presque une fragilité qui lui vient sans doute de son passé tumultueux qu'elle essaie d'oublier.
Si elle peut paraître dure, elle est aussi droite et travailleuse, drôle et tendre à ses heures. On se rend compte que c'est la vie qu'elle mène ou qu'elle a mené qui a façonné son apparente dureté, mais qu'au-delà des faux-semblants, c'est une fille qui gagne à être connue et appréciée.
Son prénom, Farouche, m'avait d'emblée déroutée, mais finalement j'ai trouvé qu'il lui allait comme un gant. Car elle n'est pas farouche par son caractère, très franc et bien affirmé au demeurant, mais plutôt par sa propension à dissimuler ce qu'il y a de meilleur en elle. Elle ne jette pas des perles aux cochons, et c'est fort bien ainsi.
Les deux boeufs se débattaient dans des gerbes d'eau, et le deuxième joug se tordit malgré les cris et les coups de fouet de Brin. Il aurait tout autant pu fouetter l'eau, ce qu'il faisait parfois. Farouche tirait de toutes ses forces. En vain.
– Merde! s'exclama-t-elle en sentant la longe glisser de sa main droite.
La corde lui cisailla l'avant-bras. Elle parvint tout juste à en rattraper l'extrémité, sang et chanvre se mêlant à l'eau qui éclaboussait son visage et détrempait ses cheveux, sous les meuglements terrifiés des animaux et les gémissements non moins terrifiés de Majud.
Des personnages Kinder surprise…
À l'instar de Farouche, les autres personnages de Joe Abercrombie sont rarement ce qu'ils paraissent être de prime abord. Les apparences sont souvent trompeuses, et l'auteur ne cesse de nous le rappeler au travers de leur psychologie.
Certains personnages essaient d'oublier un passé violent en devenant des "hommes meilleurs". Placide fait partie de ceux-là. Comme il le dit, il ne s'est pas toujours appelé Placide… C'est donc ainsi que certains caractères ressurgissent, et qu'un personnage que l'on pensait mou se révèle être un véritable guerrier dans l'âme.
D'autres personnages, comme Cosca, sont de véritables pourritures mais essaient de faire croire le contraire à tout le monde. D'autres encore, comme Temple, sont des gens biens mais essaient de se faire passer pour de véritables pourritures. Chez Joe Abercrombie, rien n'est jamais simple ni gravé dans le marbre, tout est sujet à évolution, à surprises. Les personnages sont souvent torturés, complexes, pour notre plus grand plaisir.
Farouche se tourna vers Placide. Il la dévisageait, l'épée volée dans une main, le reste de corde dans l'autre. C'était comme s'il la voyait à peine. Comme s'il était à peine lui-même. Comment pouvait-il être l'homme qui avait chanté au chevet de Ro quand elle était fiévreuse? Mal, certes, mais il avait quand même chanté, le visage tordu par l'inquiétude. À présent, devant ses yeux noirs, elle fut saisie d'effroi, comme si elle contemplait le vide. Elle se sentait comme au bord d'un précipice, et il lui fallut tout son courage pour ne pas s'enfuir.
Moralité, quand tu nous tiens…
Ce qui me frappe, chez Joe Abercrombie, c'est cette mise en avant du fait que la limite entre bien et mal est parfois bien ténue. Certains font le mal en pensant faire bien, ou en ne pensant qu'à eux. D'autres commettent des atrocités pour une bonne cause. Comment distinguer le bon grain de l'ivraie, au final? Le bien et le mal ne sont-ils réellement qu'une question de point de vue?
Certains dialogues très intéressants parlent également du concept de conscience. Car c'est peut-être elle, au final, qui fera la différence pour devenir un "homme meilleur"…
J'ai aimé cette moralité qui se dégage de l'histoire. L'auteur nous démontre que, finalement, c'est la vie qui nous façonne et nous forge. Un passé violent vécu bien malgré nous peut créer des blessures telles que notre caractère initial se voit modifié. La nécessité de survivre ou de protéger les siens peut pousser n'importe qui aux pires extrémités. Tout le monde est logé à la même enseigne.
L'auteur nous livre au final des personnages très humains, très réalistes et complexes. Dans Pays rouge, c'est vraiment ce côté-là du récit qui m'a le plus marquée et touchée.
Un sentiment d'impuissance submergea Sufeen. Soudain assailli par la fatigue, il pouvait à peine lever les bras. Si seulement il avait été entouré d'hommes justes. Mais seul lui s'approchait de cette définition. Il était le meilleur homme de la compagnie. Il n'en tirait aucune fierté. Le meilleur ver dans un tas de fumier aurait été plus reluisant. lui seul avait un semblant de conscience. Temple aussi, peut-être, mais Temple passait chaque instant à convaincre lui-même et les autres du contraire. Sufeen l'observa : en retrait derrière Cosca, un peu voûté, comme s'il se cachait. Jouant impatiemment avec les boutons de sa chemise. Il aurait pu être tout ce qu'il voulait, mais s'efforçait de n'être rien. Toutefois, au milieu de cette folie destructrice, le gâchis du potentiel d'un homme semblait fort peu importer. Jubair aurait-il raison? Dieu était-il un tueur vindicatif, qui se délectait de l'anéantissement? À ce moment précis, il paraissait difficile de prétendre le contraire.
Des hommes bons… ou pas!
Bien sûr, comme dans tout roman de Joe Abercrombie qui se répète, l'on trouve une franche dose de violence, souvent de la pire espèce car elle est la plupart du temps gratuite. Que ce soit les massacres perpétrés par Nicomo Cosca et son armée, ou par celle des mercenaires qui enlèvent les enfants, tout cela pourrait être évité. Mais non, ça les amuse bien trop, de violer, décapiter, torturer, piller, démolir… ça les fait même rire!
De la fiction, ça, vraiment? Personnellement, cela me rappelle les images que je vois tous les jours au journal télévisé. À la sauce fantasy, certes, mais l'on en trouve malgré tout les échos dans notre petit monde bien réel. On dit que la réalité dépasse souvent la fiction. Je ne peux malheureusement que confirmer l'adage.
Le couteau qu'il avait donné à Danard était enfoncé dans les côtes de Sufeen jusqu'à la garde et la chemise de celui-ci noircissait à vue d'oeil. Un tout petit couteau, par rapport à d'autres. Mais suffisamment gros.
Le chien aboyait toujours. Sufeen tomba face contre terre. La femme à l'arbalète avait disparu. Était-elle partie chercher des projectiles, sortirait-elle de nulle part, prête à tirer? Temple aurait probablement dû se mettre à couvert.
Il ne bougea pas.
Le martèlement des sabots se fit plus fort. Le sang formait une flaque boueuse autour du crâne fendu de Sheel. Le gamin recula doucement, puis se mit à courir en boitillant, traînant sa jambe infirme derrière lui. Temple le regarde s'éloigner.
Trop de linéarité…
Je dois cependant émettre quelques petits bémols pour cette lecture, que j'ai trouvé un cran en-dessous de Servir froid.
Trop de linéarité, tout d'abord. J'ai trouvé l'histoire un peu trop plate par moments. Entre le moment où les héros partent à la recherche des enfants, et celui où ils arrivent à Fronce, le voyage traîne parfois en longueur. On sent bien qu'il y a une certaine maturation de la part des personnages, mais il ne se passe pas assez de choses, les rebondissements sont trop peu nombreux ou ne sont pas à la hauteur des attentes du lecteur.
Ensuite, le paysage dans lequel évoluent les personnages est trop peu décrit. On se doute qu'il s'agit d'un décor façon "far west", mais on ne sent pas assez la poussière, le soleil, la chaleur, la soif… Je suis restée sur la mienne, pour le coup.
En résumé…
Joe Abercrombie m'a une fois de plus bluffée avec ses personnages à la psychologie complexe et son histoire tellement humaine qu'elle en devient presque réelle malgré le fait que ce soit un univers de fantasy.
On retrouve dans ce roman de nombreux éléments chers à l'auteur : des paysages très "dark" où la pauvreté et la corruption morale sont loi, des personnages torturés, des dialogues qui tournent autour de la conscience et de la recherche de sens, une histoire où le bien et le mal s'entremêlent, et de la violence… beaucoup de violence.
Si on retrouve dans ce livre beaucoup de bonnes choses, je lui reproche tout de même une trop grande linéarité, quelques longueurs, des passages qui manquent parfois de rebondissements, un caractère même parfois un peu brouillon, et le fait que la psychologie passe souvent avant l'histoire elle-même. Je l'ai trouvé un peu en-dessous de Servir froid, le premier roman que j'aie lu d'Abercrombie.
Ma note : 15/20
À très bientôt pour de nouvelles aventures livresques!
N'hésitez pas à rejoindre notre petite communauté sur la page Facebook du blog! Plus on est de fous, plus on s'amuse ^^
Retrouvez-moi aussi sur Twitter, sur le compte @Acherontia_Nyx!
Votre dévouée,