[Chroniques] L’échiquier du mal, de Dan Simmons

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[Chroniques] L'échiquier du mal, de Dan Simmons

Ils ont le talent. Ils ont la capacité de pénétrer mentalement dans notre esprit pour nous transformer en marionnettes au service de leurs perversions et de leur appétit de pouvoir. Ils tirent les ficelles de l'Histoire. Sans eux le nazisme n'aurait peut-être pas été cette monstruosité dont nous avons du mal à nous remettre, Lee Harvey Osvarald n'aurait peut-être pas été abattu par jack Ruby, John Lennon n'aurait pas été assassiné devant chez lui, les fanatismes de tous ordres ne se réveilleraient pas de façon aussi systématique et nombre de flambées de violence, tueries, accidents inexpliqués, n'auraient peut-être pas ensanglanté notre époque. Car ils se livrent aussi entre eux, par " pions " interposés, à une guerre sans merci. A qui appartiendra l'omnipotence ? Sans doute à celui qui aura le plus soif de pouvoir.

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La loi de l'attraction universelle…

"Ce roman perdu dans une bibliothèque de sciences appliquées, c'est un peu comme un appel du pied pour toi, non?". Puis je reportais systématiquement, baissant honteusement les bras face au volume significatif de l'ouvrage.

Cela faisait déjà quelques temps que ce livre me faisait de l’œil. Il me toisait depuis le haut des rayonnages de la bibliothèque où je travaille, et chaque fois que je passais devant, je me disais : "Ce roman perdu dans une bibliothèque de sciences appliquées, c'est un peu comme un appel du pied pour toi, non?". Puis je reportais systématiquement, baissant honteusement les bras face au volume significatif de l'ouvrage. Jusqu'au jour où… ce fameux jour d'avril où j'ai enfin pris mon courage à deux mains pour saisir cette brique et me la mettre en prêt sur mon compte lecteur. Et le voilà à présent qui me toise du haut de mes propres étagères. Quand viendra le moment où je lui livrerai bataille?

La bataille s'engage…

Par une soirée pluvieuse d'avril, je me saisis de la chose et, embrigadée dans mon plaid, armée de ma fidèle bougie parfumée et de mon réconfortant cappuccino choco, je passe à l'attaque!

Ce roman, je ne le laisserai pas longtemps me regarder de cet air narquois. J'ai ma fierté de lectrice, vous savez, ce n'est pas une brique de mille pages qui se jouera de moi! Alors, par une soirée pluvieuse d'avril, je me saisis de la chose et, embrigadée dans mon plaid, armée de ma fidèle bougie parfumée et de mon réconfortant cappuccino choco, je passe à l'attaque!

Ce fut une longue bataille, longue et épuisante. On se la jouait parfois à l'intimidation, une sorte de guerre des nerfs qui m'usait bien plus que je ne voulais bien l'admettre. Puis j'ai contracté ce virus tropical fort peu connu qui m'a, pendant une longue période, laissée sans énergie. Je ne lisais plus que par tranches de dix pages pour ensuite piquer du nez sur le volume. C'était très frustrant, car cela laissait le temps à l'ennemi de réorganiser son récit pour mieux me surprendre au tournant.

Et donc, à cause de cette somnolence intempestive, je me suis bien plus étendue sur cette lecture que je ne l'aurais dû. Et nous voici déjà fin août… Heureusement le combat a pris fin. J'ai trouvé en moi la force de lire les cent dernières pages d'une traite. Un jour de maladie, justement. Un de ces jours où vous êtes cloués au lit par une bonne grosse trachéite doublée d'une angine. Un de ces jours où de toute façon il pleut à verse et vous vous sentez diablement mieux sous vos couettes.

Du vampirisme psychique…

L'horreur va au-delà du fait de sentir une entité pénétrer sans autorisation dans notre esprit, puisqu'on n'est plus maître de nous même, de nos actions, de nos paroles.

"Ils ont le Talent…" nous dit le résumé. Mais qu'est-ce que le Talent, sinon la capacité de pénétrer mentalement dans l'esprit pour transformer le "pion" choisi en marionnette. Les protagonistes du récit emploient le terme de viol mental, tout en faisant comprendre que ce viol-ci est le pire de tous. L'horreur va au-delà du fait de sentir une entité pénétrer sans autorisation dans notre esprit, puisqu'on n'est plus maître de nous même, de nos actions, de nos paroles. Les pions ainsi violés ne sont plus qu'une coquille vide, une enveloppe charnelle dont un marionnettiste sanguinaire tire les ficelles. Ces vampires psychique peuvent se contenter de quelques actions avec le pion choisi, d'une durée d'une heure à plusieurs jours.

Mais plus effrayant encore, ils sont capables de "conditionner" un pion afin que celui-ci leur obéisse sur le long terme. Le pion perd alors toute sa personnalité et sa volonté propre. Il continue de vivre par le biais du vampire, mais il ne reste plus rien dans ce corps de ce que fut la personne autrefois. Et même lorsque le corps se détériore au point de ne plus paraître viable, le pion continue d'avancer envers et contre tout, guidé par l'esprit maléfique de son Talentueux maître. C'est ainsi que le vampire devient créateur de zombies.

L'horreur de tout cela, c'est qu'on ne sait rien faire contre eux. Ils s'insinuent dans l'esprit par la force et, une fois installés, il est impossible de les déloger. Sauf quelques privilégiés peuvent se targuer du statut de "neutre", des esprits que rien ni personne ne peut pénétrer.

Les origines de la violence…

Notre esprit en recherche de vérité voit tout à coup les pièces d'un même puzzle s'assembler en un tableau digne de Jérôme Bosch. C'est tellement criant de vérité qu'on peine à croire que tout cela n'était qu'un mauvais rêve – ou une très bonne lecture.

Grâce à cette théorie de vampirisme mental, Dan Simmons parvient à nous faire croire que de nombreux événements historiques sanglants sont liés à ce Talent, que la violence humaine que l'on a de tout temps connu découle directement de cette spécificité psychique présente chez certains individus. Ces "révélations" sur la nature de certains êtres humains nous montrent une autre version du passé meurtrier de l'humanité, une version cachée, fantasmée, qui paraîtrait tout à fait plausible si l'on ne se trouvait pas dans un roman de fiction. L'auteur a trouvé le parfait fil conducteur pour expliquer bien des guerres et bien des tueries. On en arriverait presque à douter des explications vues au cours d'histoire, on en arriverait presque à se demander si nous n'avons pas été dupés sur toute la ligne. J'aurais pu avoir vraiment fort froid dans le dos s'il n'était pas écrit "fiction" dans le résumé du roman.

Et c'est là toute la force de ce récit. Notre esprit en recherche de vérité voit tout à coup les pièces d'un même puzzle s'assembler en un tableau digne de Jérôme Bosch. C'est tellement criant de vérité qu'on peine à croire que tout cela n'était qu'un mauvais rêve – ou une très bonne lecture.

Personnellement, j'ai eu beaucoup de mal à accrocher avec cette lecture. Pas parce que c'est mal écrit, rébarbatif ou énervant, mais justement parce que c'est si bien écrit, si réel, si poignant, qu'il m'a fallut alterner avec plusieurs autres lectures pour digérer. Je suis bien incapable de me prendre autant de violence d'un coup dans les gencives. Et pourtant, question horreur, je suis rodée… Sauf qu'ici, il ne s'agit pas de diables, de démons, ou d'esprits aussi agressifs et meurtriers que fictifs. Ici, l'auteur nous plonge au cœur de la violence humaine, au plus profond de la haine et de la noirceur de l'Homme. C'est dur à encaisser. Et encore plus dur de se dire que si le Talent existait, certains sont assez tordus pour l'employer de la façon décrite dans le livre.

Des personnages contrastés…

Il y a bel et bien deux clans opposés, un clan de bons et un clan de mauvais. Et en même temps, c'est un peu normal, on est quand même bien au beau milieu d'une partie d'échecs, non?

Certains pourraient peut-être dire que les personnages de cette histoire entrent dans un schéma trop manichéen, les "gentils" d'un côté et les "méchants" de l'autre. C'est un fait qu'on ne peut pas nier, il y a bel et bien deux clans opposés, un clan de bons et un clan de mauvais. Et en même temps, c'est un peu normal, on est quand même bien au beau milieu d'une partie d'échecs, non? Et comme sur tout échiquier qui se respecte, nous avons un côté blanc et un côté noir. Ça fait peu de place pour le gris, ça…

Mais il existe une constante chez tous les personnages de ce roman, bon comme mauvais. Chaque personne est torturée à sa façon. Que ce soit les "agents du mal" qui sont pourris jusqu'à la moelle et que le Jeu rend encore plus malades et pervertis, que ce soit Saul, le rescapé des camps de la mort que le sort de son peuple continue à torturer, que ce soit Natalie, cette jeune afro-américaine qui perd un amour naissant et qui décide de se battre pour la vengeance, que ce soit Melanie Fuller, obsédée par son amour pour Willi et sa concurrence ouverte avec Nina… Chaque personnage a sa part d'obscurité, méchant comme gentil, et c'est ce qui les rend au final si humains.

Enfin, quand je dis humain… Je parle bien sûr de ceux qui n'ont pas le Talent. Car ceux qui l'ont n'ont rien d'humain, si ce n'est l'enveloppe physique, Ils se considèrent eux-même comme faisant partie d'une espèce supérieure. Mais à la lecture du récit, on peut franchement mettre en doute ce qualificatif.

Tout est dans la plume…

Qui dit changement de personnage dit changement radical de ton et de style narratif. C'est ce qui, pour moi, fait en grande partie le génie de ce roman.

Ce que j'ai vraiment apprécié dans la façon dont Dan Simmons a écrit son roman, c'est le découpage des chapitres, ni trop longs ni trop courts. Chaque chapitre commence par le lieu et la date exacte de l'action. Comme parfois l'auteur nous emmène dans plusieurs endroits à la fois, on parvient toujours à se situer, même lorsqu'on reprend le roman après l'avoir posé quelques temps.

Ce découpage du récit en courts chapitres permet également à l'auteur de changer de personnages à chaque nouveau chapitre, ou presque. Et qui dit changement de personnage dit changement radical de ton et de style narratif. C'est ce qui, pour moi, fait en grande partie le génie de ce roman. Même sans avoir lu le nom du personnage qui narre l'histoire au début du chapitre, on sait au premier coup d’œil à qui on a à faire. Celle qui, à mon sens, est la plus remarquablement travaillée, c'est Melanie Fuller. À chaque chapitre qui lui est consacré, on s'offre une nouvelle plongée dans son esprit moisi et délabré. C'est à faire se dresser les poils des avant-bras… C'est merveilleux de voir comme l'auteur arrive à se glisser dans sa peau pour la rendre plus vivante au fil des lignes, mais c'est également effrayant de penser que quelqu'un a pu imaginer une personne aussi malsaine, car il n'est pire monstre que cette vieille femme cette créature.

Quant à l'Oberst, autre personnage dont Simmons brosse un portrait profond et complexe, il est à la hauteur de la vieille Fuller, aussi fou et sanguinaire, si pas plus encore.

Un second point que j'ai trouvé vraiment remarquable, c'est le contexte historique décrit par l'auteur. Non seulement Dan Simmons est très bien renseigné en ce qui concerne l'histoire contemporaine, notamment pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, mais en plus il met en place l'histoire de ses personnages de façon toute à fait remarquable. Le passé de chacun est fournit, détaillé, tous les éléments se tiennent, tout paraît tellement réel que s'en est affolant. J'admire énormément le travail d'écriture, de recherche et de mise en place de l'histoire accompli par Simmons. Rien que pour cela et pour son incroyable inventivité, ce roman vaut vraiment le détour!

J'ai adoré ce moment, car en l'espace de quelques pages, l'auteur a donné à ces millions de morts une force d'action – fictive, mais jouissive malgré tout.

Un autre point fort que je souhaitais soulever, ce sont les nombreuses références que l'auteur fait à la Shoah. Saul, un des principaux personnages, est juif et a connu le génocide de son peuple. En tant que survivant, on revit à travers lui de nombreux épisodes de la souffrance juive dans les camps de la mort. Et s'il est un moment de notre Histoire qui me touche particulièrement, c'est bien celui-ci. Je me sens en révolte devant cette souffrance infligée à ce peuple, en révolte face à la négation pure et dure de leur statut d'être humain, de leur droit d'être tout simplement. Il y a, à la fin de ce livre, une scène particulièrement forte et touchante lorsque Saul affronte l'Oberst dans un grand combat psychique, mais je n'en dirai pas plus pour ceux qui désirent lire ce roman. Toujours est-il que j'ai adoré ce moment, car en l'espace de quelques pages, l'auteur a donné à ces millions de morts une force d'action – fictive, mais jouissive malgré tout (on pourrait même dire "juissif" XD).

En résumé…

Les points positifs…
  • Les personnages complexes et l'histoire très travaillée.
  • L'incroyable créativité de l'auteur et ce thème des vampires psychiques qui est juste génial, et très bien traité.
  • Le style d'écriture qui varie d'un personnage à l'autre, la plume soignée, la structure du récit.
Les points négatifs…
  • Une histoire pleine de violence qui peut parfois être lourde à digérer pour les plus sensibles.
Ma note : 19/20, il s'en est fallu de peu pour parvenir au maximum. Et oui, c'est un énorme coup de cœur ^^

Lu dans le cadre du challenge "Littératures de l'imaginaire 2015"

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Lu aussi dans le cadre du Baby challenge Fantastique 2015 sur Livraddict

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