En résumé…
L'humanité est en proie aux agressions répétées d'êtres surnaturels et mauvais qui ont été les maîtres de la Terre bien avant notre ère… Après un prélude d'horreur, voici que surgissent les démons de la Terre, puis ceux de la mer et de l'air, qui vont faire notre malheur. Quatre récits du grand écrivain américain H. P. Lovecraft.
La couleur tombée du ciel…
Près d'Arkham, dans la région appelée désormais la Lande foudroyée, est tombée un météorite fait d'une matière aux étranges propriétés, et d'une couleur encore jamais vue sur terre, apportant terreur et désolation aux habitants du périmètre…
L'abomination de Dunwich…
A Dunwich naît un petit garçon bien étrange, Wilbur, déjà fort peu attirant physiquement, et qui a la particularité de grandir trop vite, que ce soit d'un point de vue corporel et intellectuel. La condition hors-normes de Wilbur et les modifications apportées aux bâtiments où vit sa famille ont-elles un lien avec les vieilles légendes qui circulent et qui disent que Dunwich serait hantée par le Diable?
Le cauchemar d'Innsmouth…
Un jeune homme de 18 ans fête sa majorité en parcourant le pays à la recherche de curiosités archéologiques. Il ne tarde pas à découvrir la ville fantôme d'Innsmouth, où il se passe de bien étranges choses, et dont la population présente de troublantes difformités…
Celui qui chuchotait dans les ténèbres…
De curieuses et inquiétantes créatures sont aperçues dans les collines du Vermont. Deux scientifiques s'échangent des lettres à leur sujet et tentent de trouver leur origine. Ils ne sont pas au bout de leurs surprises…
Ce qui m'a attirée vers cette lecture…
Lovecraft était un de mes écrivains favoris lorsque j'étais ado. C'est donc tout naturellement que je me suis tournée vers cette (re)lecture pour mon challenge le Trivial pursuit de l'imaginaire. Je savais qu'il s'agissait d'une valeur sûre…
La première phrase…
La couleur tombée du ciel…
"A l'ouest d'Arkham s'érigent des collines farouches, séparées par des vallées plantées de bois profonds dans lesquels nulle hache n'a jamais pratiqué de trouée."
L'abomination de Dunwich…
"Lorsqu'un voyageur qui parcourt le centre nord du Massachusetts se trompe de direction à l'embranchement de la barrière de péage d'Aylesbury, au-delà de Dean's Corner, il se trouve dans une région étrange et désolée."
Le cauchemar d'Innsmouth…
"Au cours de l'hiver 1927-1928, des fonctionnaires du gouvernement fédéral menèrent une enquête mystérieuse dans la ville d'Innsmouth, ancien port de pêche du Massachusetts."
Celui qui chuchotait dans les ténèbres…
"Par-dessus tout, rappelez-vous bien que je ne vis, au dernier moment, aucune horreur concrète susceptible d'affecter ma raison."

About Lovecraft…
"L'univers accessible à nos sens se prolonge à l'infini pour devenir le nouvel univers révélé par la science. Des distances énormes dans l'espace et le temps, une infinité de mondes dont beaucoup sont probablement habités par des êtres très différents de nous, des frontières qui reculent constamment, des mystères toujours nouveaux : tel nous apparaît cet autre cosmos.
Il est permis d'avoir, à l'égard de ce domaine prodigieux, d'autres attitudes que l'admiration béate des manuels d'astronomie populaire. Howard Philips Lovecraft avait adopté l'attitude de l'effroi. Le silence des espaces infinis effrayait Pascal ; Lovecraft, lui, redoute l'activité hostile des êtres monstrueux qu'il sent autour de lui, êtres dont la puissance infiniment supérieure à la nôtre, l'emporte même sur celle des dieux que nous avons imaginés. Ces êtres nous ont été créés un jour par plaisanterie ou par erreur ; un jour viendra où ils nous anéantiront.
Des historiens de la littérature arriveront sans aucun doute à montrer pourquoi Lovecraft a choisi cette voie. La misère dans laquelle il a vécu toute sa vie, une mauvaise santé, un mariage malheureux y sont certainement pour quelque chose. Pourtant, il n'y a eu qu'un Lovecraft dans la littérature de tous les pays… Et c'est pourquoi toutes les explications données seront toujours nécessaires mais non pas suffisantes.
Ce qui est certain, c'est que Lovecraft a inventé un genre nouveau : le conte matérialiste d'épouvante. Plus que tout autre il sait créer la terreur ; mais c'est sur les découvertes de la science que repose son pouvoir, plus grand à nos yeux que celui de Poe lui-même.
Sa cosmogonie et sa mythologie nous effraient parce qu'elles sont possibles. Des méthodes scientifiques irréfutables ont montré que la vie existait déjà sur notre globe il y a deux milliards sept cent millions d'années! Nous ignorons tout de la forme de cette vie : nous savons seulement que, dans des roches datant de deux milliards sept cent millions d'années, nous trouvons du carbone dont le rapport des isotopes est celui de la vie.
Ces êtres d'un passé infiniment lointain ont pu atteindre des pouvoirs étonnants et signer des pactes avec d'autres intelligences dans l'espace et le temps. Toute existence terrestre est peut-être soumise à des lois inconnues, appartient à des maîtres lointains depuis l'époque "où la Vie et la Mort, l'Espace et le Temps contractaient des alliances sinistres et impies", selon les termes de notre auteur. Et peut-être subsiste-il encore de cette époque des portes s'ouvrant sur d'autres points du continu espace-temps, sur des galaxies lointaines, sur le passé et l'avenir ; des portes dont les clés se trouvent dans notre inconscient, "mondes d'une réalité sardonique se heurtant à des tourbillons de rêves fébriles".
C'est dans ce cadre immense que Lovecraft place son oeuvre. Il utilise un "réalisme fantastique" qui lui appartient en propre. Les sources qu'il cite existent toutes à une exception près : le livre maudit, le noir Necronomicon, écrit par l'arabe Abdul Alhazred qui devint fou après avoir achevé la rédaction de son oeuvre. (Notons en passant, à ce propos, que la Bibliothèque du British Museum reçoit fréquemment des lettres demandant où l'on peut se procurer cet ouvrage!) Ce réalisme fantastique est encore renforcé par l'incrédulité du narrateur, qui cherche toujours des explications rationnelles et prosaïques.
La lecture de l'oeuvre de Lovecraft exige des nerfs solides. C'est une liqueur forte qui doit être absorbée à petites doses. Mais elle offre d'étranges plaisirs, dans cet "ailleurs absolu" dont parle Einstein.
Jacques Bergier, préface de l'édition de 1996 parue chez Denoël.
La Lovecraftitude…
Qu'ajouter de plus à ce préambule soigneusement rédigé par Monsieur Bergier et qui décrit si bien notre auteur?
Oui, il n'y a qu'un seul Lovecraft sur cette terre, unique, inimitable. Ses nouvelles sont intemporelles, et il est toujours plaisant de les relire de temps à autre. Ce fut le cas pour moi avec cet excellent recueil de quatre nouvelles formidables.
Mais qu'a donc ce recueil de si excellent?
Eh bien, il se fait que les quatre nouvelles qui le composent sont bien représentatives du style d'écriture de l'auteur, et une bonne introduction à son univers sombre, ainsi qu'à sa mythologie bien personnelle. On n'y parle que peu du grand Cthulhu, personnage de Lovecraft devenu culte suite à de nombreuses références dans les films, les jeux vidéos, les dessins animés et la littérature.
Mais cela ne gêne absolument pas car, même si on s'attend à voir au moins le bout de ses tentacules, d'autres créatures sont plus longuement évoquées et qui font partie intégrante de la mythologie dont est issu Cthulhu.
Chacune des nouvelles paraissent se ressembler sur la forme, et pourtant elles sont bien différentes de par le fond. On retrouve dans chacune d'elle le style inimitable de l'auteur, et cette atmosphère lourde d'angoisse qui suffoque le lecteur jusqu'à évoluer vers un sentiment d'effroi sans nom, comme dans cet extrait :
"Presque en même temps les animaux de la ferme périrent les uns après les autres. Poules et coqs devinrent grisâtres et moururent rapidement : leur chair desséchée était infecte. Les porcs grossirent démesurément, puis commencèrent soudain à subir des transformations répugnantes que nul ne put expliquer. Bien entendu, leur chair s'avéra inutilisable, et Nahum ne sut plus à quel saint se vouer. Aucun vétérinaire rural ne voulait s'approcher de la ferme ; quant à celui d'Arkham, il était manifestement déconcerté. Les porcs, eux aussi, prenaient une couleur grisâtre et tombaient littéralement en lambeaux avant de mourir, tandis que leurs yeux et leur groin présentaient des altérations singulières, d'autant plus étranges qu'ils n'avaient jamais mangé de plantes souillées. Ensuite, les vaches succombèrent à un mal mystérieux. Certaines parties du corps, ou bien l'animal tout entier, se recroquevillaient ; après quoi survenait un affaissement ou une désintégration particulièrement atroce. Quelque temps avant la mort (qui était le terme inévitable de la maladie), la chair devenait grise et friable comme celle des porcs."
En résumé, je dirais que ce recueil est une intéressante introduction à l'univers de Lovecraft, que je conseillerais aux lecteurs qui ne connaissent pas encore cet auteur de génie.
Mais qu'a donc cet auteur de si génial?
Ce que j'aime, chez Lovecraft, c'est cette façon très personnelle d'attiser l'effroi chez le lecteur par l'emploi de termes forts, qui marquent l'esprit. Tout le vocabulaire de l'horreur y passe. C'est que l'auteur ne manque pas de mots pour décrire l'indicible… étrange, abomination, cauchemar, souillé, avili, singulier, démesurément, squelettique, lambeaux, putride, succomber, désintégration, atroce, fantastique, délabré, en décrépitude, terrible, horreur, intolérable, extravagance, hallucination, quintessence du mal, impie, perversité, démoniaque… et ceci n'est qu'un tout petit aperçu.
Cela paraît anodin vu comme ça, mais pour moi, c'est ce qui donne du relief au récit de Lovecraft. L'auteur s'exprime dans une langage relativement châtié (mis à part pour certains dialogues qui ressemblent plus à une sorte de transcription d'accents régionaux), et l'histoire pourrait paraître monotone s'il n'y avait ces coups de tonnerre donné par ces termes tantôt durs, tantôt alambiqués qui font comme un électrochoc au cerveau.
Autre côté que j'apprécie énormément chez cet auteur, c'est son imagination débordante qui nous imprègne d'entrée de jeu. Rien que les descriptions des créatures qui terrorisent les protagonistes de l'histoire valent de l'or tellement ces créatures sont tirées par les cheveux, et pourtant si bien décrites qu'on les soupçonnerait d'avoir réellement existé.
"Ce ne pouvait pas être non plus des animaux familiers aux habitants du Vermont. C'étaient des créatures rosâtres d'environ cinq pieds de long : leur corps crustacéen portait une paire de vastes nageoires dorsales ou d'ailes membraneuses, et plusieurs groupes de membres articulés ; une espèce d'ellipsoïde couvert d'une multitude de courtes antennes leur tenait lieu de tête. Tous les récits, je l'ai déjà dit, coïncidaient d'une façon remarquable ; néanmoins, il ne fallait pas trop s'en émerveiller, car les vieilles légendes autrefois répandues dans le pays fournissaient une image morbide particulièrement vive qui avait sans doute impressionné le cerveau des témoins en cause."

En résumé…
Les petits plus…
- Le lecteur est tout de suite pris par l'histoire car Lovecraft sait fort bien maintenir le mystère jusqu'au dénouement final.
- La lecture reste agréable jusqu'au bout et l'ambiance est glauque à souhait.
- J'ai aimé pouvoir m'émerveiller par l'imagination de l'auteur qui semble ne pas connaître de limites, même pas celles de notre monde physique…
Les petits moins…
- Une ambiance peut-être un peu trop lourde et glauque pour certains lecteurs? Un roman, en tout cas, à ne pas mettre dans toutes les mains…
Ma note : 9,5/10 SECOND COUP DE COEUR DE 2014!!!
Lu dans le cadre du Trivial Pursuit de l'Imaginaire, Session 1 : "Des romans d'horreur avec une couleur dans le titre"
Lu aussi dans le cadre du Challenge Petit Bac 2014, Ligne Fantastique, Catégorie Couleur : La COULEUR tombée du ciel